ProNaturA-France
Commentaires sur le "Rapport sur le régime juridique de l'animal" de Mme Suzanne ANTOINE (mai 2005)


1) Il s'agit d'un texte partial, dénué d'objectivité, inspiré principalement par une intention militante (l'auteur du rapport est trésorière de la Ligue française des droits de l'animal) :
a) La "demande sociale" et l'"opinion publique" auxquelles il est constamment fait référence ne sont nullement établies ; et il est pour le moins abusif de dire qu'elles s'expriment "au travers des fondations et associations consultées" (p. 50).
b) Les sources et les attendus ne mentionnent que les positions des associations protectionnistes ; les syndicats et associations d'éleveurs, les associations professionnelles, ProNaturA, etc., n'ont même pas été consultés ; les opinions différentes de celles de l'auteur (comme celles de Jean-Pierre Digard dans Les Français et leurs animaux ou de Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique) sont ignorées ou passées sous silence.
c) Les excès et dérives auxquels conduisent l'"amour" excessif des animaux et leur anthropomorphisation ne sont jamais évoqués. Le rapport s'inscrit notamment dans la tendance actuelle à vouloir rapprocher de manière excessive l'animal de l'homme, en se fondant sur des arguments biologiques : on aurait découvert des capacités jusque là insoupçonnées chez les animaux (communication, capacités cognitives, "culture") et, surtout, la biologie moléculaire révèle que le génome des singes anthropoïdes est très proche de celui de l'homme. Or l'expérience invite à se méfier de la manière dont les découvertes scientifiques sont comprises et présentées par les non spécialistes. En effet, que les chimpanzés et l'homme possèdent 98,5 %, voire plus, de gènes en commun ne change strictement rien au "fossé" qui existe entre eux et lui. On veut combler ce fossé avec des arguments biologiques alors qu'il n'est pas biologique : il est culturel. On ne voit pas comment il sera possible un jour de définir biologiquement l'homme et l'animal : de ce point de vue, ils appartiennent effectivement au même monde. Mais si l'on introduit la dimension de la culture, donc celle de la liberté, la distance qui les sépare demeure considérable.
d) Il n'est jamais fait état des préjudices que causeraient - et que causent - déjà aux éleveurs professionnels et amateurs ainsi qu'aux différentes filières animales les législations exagérément répressives et tatillonnes. En particulier, il est inadmissible de présenter les éleveurs comme exclusivement soucieux d'un "commerce rentable" et indifférents à la "souffrance" animale. C'est vouloir délibérément ignorer les conditions économiques dans lesquelles s'est faite l'"industrialisation" de l'élevage : une dégradation perpétuelle, depuis une cinquantaine d'années, des termes de l'échange. L'intensification et les gains de productivité n'ont visé, pour les éleveurs, qu'à maintenir si possible le revenu. Ces derniers ne sont pour rien dans le développement d'un système qui leur a été imposé par une société de consommation ayant pour but d'"écraser" les prix. Il est malheureusement plus facile de jeter le discrédit sur l'élevage moderne en le présentant comme "apocalyptique" pour les animaux, que de s'attaquer aux excès de la société de consommation.

2) Les propositions de modification des textes en vigueur (pp. 38-39 et 44-50 du rapport) sont à la fois hypocrites et irréalistes, tantôt floues - les critères "système nerveux supérieur", "conditions compatibles avec les impératifs biologiques de leur espèce" et "valeur intrinsèque" de l'animal sont dénués de toute valeur opératoire -, tantôt contradictoires - voir notamment le projet d'article 515-11, p. 39 -, en tout cas difficiles à appliquer.

3) Il n'est pas crédible que le changement de statut juridique de l'animal ici proposé - soit son extraction complète du droit des biens, soit son inclusion dans une nouvelle catégorie de biens, non plus "biens meubles" mais "bien protégés" en leur qualité d'"êtres vivants et sensibles" - puisse n'affecter, comme l'affirme la Chancellerie, ni les dispositions du Code pénal sur la protection animale, ni celles propres au monde agricole.
Par exemple, écrire que "Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité" ne peut que recueillir l'assentiment général. En conclure aussitôt qu'"En toutes circonstances, ils doivent bénéficier de conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien-être" apparaît toutefois abusif et dangereux car il deviendrait à la limite possible d'interdire l'essentiel des utilisations que l'homme fait de l'animal. Les conséquences en élevage, notamment, pourraient être catastrophiques.
Il est évidemment facile de dire que ce ne sera pas le but du législateur et que la nouvelle réglementation se devrait d'être appliquée avec sagesse. On est tout de même fondé à s'inquiéter à la lecture du dernier paragraphe du rapport : la rédactrice y affirme sa préférence pour la première option rédactionnelle qu'elle propose - l'extraction complète de l'animal du droit des biens -, au motif que celle-ci est "beaucoup plus novatrice et audacieuse, et laisse au droit de l'animal des possibilités d'évolution qui sont d'ores et déjà prévisibles". C'est dire que la personnification juridique de l'animal demeure bien l'objectif.

Paris, le 6 juin 2005.

Bernard DENIS Jean-Pierre DIGARD professeur honoraire à l'Ecole directeur de recherche au C.N.R.S. nationale vétérinaire de Nantes vice-président de ProNaturA président de ProNaturA France

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