par le professeur Pomarède
Si la plupart des amateurs d'oiseaux les élèvent pour leur plaisir,
de nombreuses observations sont possibles concernant les oiseaux d'élevage et leur étude est d'autant
plus intéressante qu'elle concerne des domaines actuellement assez négligés puisqu'il s'agit de
la couleur des oiseaux et de leur sexualité.
L'élevage a donc un intérêt scientifique et les conséquences
qui en résultent, contribuent à une meilleure connaissance des oiseaux. Tout en confirmant l'originalité
de cette classe, certaines de ces observations nous conduisent à d'importantes remarques concernant
l'évolution et l'origine des oiseaux.
Etude de la couleur des plumes
Cette étude de la couleur se fait par comparaison entre des plumes de couleur et d'origine
différentes. Les mutations de la couleur chez une même espèce sont particulièrement instructives.
De telles mutations, très rares dans la nature, sont communes en élevage, surtout chez les espèces
les plus anciennement élevées comme la perruche ondulée, le canari ; le diamant de Gould Les observations
se font sur des coupes minces de plumes, observées au microscope photonique avec un éclairage latéral
sur fond noir, ou bien au microscope électronique à balayage. Dans le premier cas, on peut localiser
les pigments grâce à leur couleur ; et dans le second cas, on peut les situer dans les microstructures.
En comparant les résultats, on peut comprendre leur action.
Deux grandes familles de pigments produisent les couleurs des plumes : les caroténoïdes et les
mélanines. Les caroténoïdes proviennent de l'alimentation ; ils vont s'accumuler dans la peau ; certains
étant remaniés avant leur dépôt dans les plumes. Ils donnent des couleurs allant du rouge au rose
très dilué et du jaune vif au crème en passant par le jaune pâle. Ils sont sensibles à la lumière
qui peut les atténuer au point qu'en élevage, un oiseau au plumage vert peut devenir bleuâtre et
qu'un rouge peut être remplacé pas un jaune orangé. Ces changement s'expliquent par une alimentation
moins riche et surtout moins variée que dans le milieu naturel. Les éleveurs en donnant une pâtée
enrichie en un caroténoïde très actif (la canthaxanthine) peuvent retrouver une couleur rouge à
partir d'un rouge orangé et même d'un jaune. C'est ainsi que l'on obtient des canaris rouges.
Dans les plumes, les caroténoïdes sont généralement très stables et se situent à la surface de
l'écorce des barbes.
Les mélanines
ou plus simplement la mélanine, sont synthétisées par l'organisme. On distingue la mélanine noire
ou eumélanine et les mélanines brunes ou phéomélanines. Une série de réactions chimiques, constituant
la mélanisation, est à leur origine. Quand la mélanisation arrive à son terme, on obtient un produit
très élaboré qui est l'eumélanine ; chimiquement, c'est un polymère, autrement dit un enchaînement
complexe de molécules semblables. Si la mélanisation est imparfaite, s'il n'y a pas polymérisation,
on obtient des molécules plus simples qui forment la phaeomélanine. Les phaéomélanines donnent des
bruns plus ou moins dilués, mais peuvent aussi donner un roux. L'eumélanine très dense, donne la
couleur noire, ce qui est dû au fait que ce pigment absorbe toutes les radiations lumineuses
qu'il reçoit et n'en renvoie donc aucune. Les pigments doivent en effet, leur couleur aux radiations
lumineuses qu'ils renvoient : ainsi un caroténoïde rouge renvoie le rouge.
Si les caroténoïdes et les mélanines occupent souvent des régions bien distinctes dans une plume,
la mélanine pouvant être à la base et le caroténoïde à l'extrémité de la plume, les mélanines peuvent
coexister pour donner un mélange de noir et de brun. Les mélanines sont mises en place dans la plume
en voie de croissance par des cellules migratrices, qui peuvent la déposer d'une manière précise.
Il en résulte la possibilité de dessins très variés et très fins (stries, ponctuations), alors que
les caroténoïdes forment des taches plus ou moins étendues.
Naissance des couleurs.
Les couleurs dites pigmentaires dérivent directement d'un pigment et c'est le cas de celles données
par les caroténoïdes. Mais il n'y a pas de pigment bleu chez les oiseaux où pourtant cette couleur
est bien répandue. Chez eux, le bleu est produit par décomposition de la lumière ou diffraction, provoquée
par des microstructures. Le bleu des oiseaux est une couleur structurale.
Deux types principaux de microstructures s'observent chez les oiseaux. Elles ont été observées
et étudiées chez les oiseaux d'élevage. Chez les Psittacidés et divers Passériformes, la décomposition
de la lumière est produite par de très petits granules (microgranules) situés dans de grandes cellules
formant une couche structurale. Cette couche est localisée dans les barbes des plumes, dans la
profondeur de leur écorce ; elle est circulaire chez la perruche ondulée mais discontinue chez le
diamant de Gould et de grands perroquets. Ces derniers ayant des couleurs différentes à la face
supérieure et à la face inférieure des ailes. Ainsi, la face supérieure d'un ara pourra être colorée
par un bleu structural, alors que la face inférieure devra son rouge à un caroténoïde ; le mélange
de ces couleurs est évité par un écran formé par les barbules chargées de mélanine noire ; chaque
couleur garde ainsi sa pureté. La taille des microgranules, est de l' ordre du 1/10 de micron,
comme celles des longueurs d'onde des radiations lumineuses. Il en résulte que ces microgranules
dévient les radiations de courte longueur d'onde et donc le bleu, alors que les autres radiations
pénètrent dans la moelle des barbes où de la mélanine noire va les absorber. La moelle est en effet
riche en eumélanine qui est sous forme de molécules géantes incrustées dans les parois cellulaires.
Les microgranules sont également constitués d'eumélanine. Celle-ci a un rôle absorbant quand elle est
compacte et noire, mais quand elle est diffuse, elle est source de diffraction. et produit du bleu.
Le second type de microstructure est fait de microlamelles parallèles formant un réseau.
Leur écartement est de l'ordre du 1/10 de micron, de telle sorte que le retard entre deux rayons
d'une même radiation frappant deux lamelles successives peut entraîner leur annulation.
La suppression d'une radiation dans la lumière blanche se traduisant par l'apparition de la couleur
complémentaire, de tels réseaux seront à l'origine de couleurs structurales. L'arc en ciel,
les irisations produites par une goutte d'huile flottant sur l'eau, celles nées d'un disque
microsillon exposé à la lumière, autant de phénomènes qui relèvent de la décomposition de la lumière
par des lames minces. Ce type de microstructure est situé seulement dans les barbules des plumes ;
il s'observe chez les paons, les colibris et de nombreux oiseaux aux couleurs vives et changeantes.
Les irisations des plumes du corbeau, du cou du pigeon, du camail du coq, sont dues à des microlamelles,
et ce sont les mouvements de l'oiseau qui les produisent. Quand l'incidence de la lumière varie,
la distance parcourue par la lumière entre deux microlamelles successives varie aussi, et ce n'est
donc pas la même radiation qui sera éteinte. Ainsi en inclinant une plume de paon dans un rayon de
soleil, on peut voir dans un ocelle, un violet succéder à un bleu, un orangé à un jaune ou à un brun.
Comme il est nécessaire que les radiations non réfléchies soient absorbées, les microstructures sont
toujours associées à de la mélanine noire dont le rôle est de les éliminer. Ainsi chez le paon,
les barbules à couleurs structurales reposent sur des barbules riches en mélanine noire et les
irisations d'une aile de corbeau se détachent sur le noir du plumage. Un paon dépourvu de mélanine
conserve ses dessins mais son plumage est blanc. Contrairement aux microgranules, les microlamelles
peuvent produire toutes les couleurs de l'arc en ciel
L'étude des mutants de la perruche ondulée, permet d'y observer la naissance des différentes
couleurs. Le vert provient de la superposition d'un bleu structural et d'un jaune caroténoïdien ;
le pigment jaune étant placé à la surface de la couche structurale. Une mutation en supprimant
le caroténoïde a produit la perruche bleue. Une autre en supprimant la mélanine a été à l'origine
de la perruche jaune. Chez la perruche cinnamon, le remplacement de la mélanine noire par de
la mélanine brune a donné des plumes brunes. Un remplacement partiel chez une perruche bleue conduit
au violet, où du brun se mêle à un bleu structural.
Chez une perruche gris-vert, la couche structurale est désorganisée et se confond avec la moelle ;
en l'absence du caroténoïde cette perruche est grise.
Les barbules ont un rôle important dans l'obtention des nuances d'une couleur principale.
Ainsi un bleu pâle s'obtient chez une perruche bleue par des barbules incolores ;
la lumière non diffractée qu'elles renvoient dilue le bleu produit par les barbes.
En se chargeant progressivement de mélanine noire, les barbules rendent le bleu de plus en plus pur
et donc plus intense et plus sombre ; quand elles sont entièrement noires, on a un bleu cobalt.
Un même phénomène permet le passage d'un vert clair, à un vert de plus en plus pur.
Dans le même temps on constate que la couche structurale d'une barbe s'enrichit en mélanine ; car,
parmi ses cellules géantes, des éléments d'un bleu ou d'un vert plus purs apparaissent, et finalement
la totalité de la barbe devient plus sombre. Le mauve est obtenu par dilution du violet : les barbules
contiennent de la mélanine brune diluée et les barbes, d'un brun plus sombre, renferment des traces de
mélanine noire dans la couche structurale.
La mélanine joue donc un rôle très important dans les couleurs des oiseaux.
Variations de la couleur du plumage.
Chez une même espèce, la couleur des plumes peut varier suivant l'âge ou le sexe des
individus. Ces variations sont d'origine endocrinienne. On constate qu'une femelle canari âgée prend un
comportement de mâle ; elle chante, devient agressive et peut même être fertile comme mâle.
Chez les oiseaux, très généralement, seul l'ovaire gauche est fonctionnel, l'ovaire droit reste à
l'état embryonnaire mais peut évoluer vers un testicule. Chez une poule l'ablation de l'ovaire provoque
l'apparition d'un plumage de coq. Cela montre que le comportement et le plumage femelle résultent
d'une inhibition exercée par les hormones femelles ; quand elle cesse, le sexe mâle se manifeste.
La glande hypophyse et la thyroïde interviennent également dans la coloration. On constate qu'une
plume que l'on arrache en dehors de la période de mue, peut être remplacée par une plume pauvre en
mélanine et un hyperfonctionnement hypophysaire se traduit par du mélanisme : la mélanine envahit
une grande partie du plumage, et sa couleur change.
Une bonne santé conditionne la couleur du plumage. Un oiseau malade ne se baigne plus, son plumage
se ternit et des parasites (acariens) peuvent l'envahir. Inversement, un plumage bien coloré, des plumes
en excellent état indiquent un oiseau en bonne santé, pleinement apte à la reproduction.
Les femelles préfèrent les mâles les plus colorés et les parades nuptiales ont pour but de mettre en
valeur les qualités du plumage Chez les oiseaux, la beauté des mâles, qui accompagne souvent la virilité,
sert de base à la sélection naturelle.
La couleur du plumage étant caractéristique de l'espèce, on peut s'attendre à ce qu'elle ne varie
pas. Pourtant l'usure en faisant disparaître un liseré brun peut faire apparaître un plumage plus noir ;
et nous avons signalé le cas d'oiseaux dont le vert pouvait passer au bleu ; c'est notamment le cas
de la pie de Chine (Cissa chinensis) quand elle quitte les sous-bois pour des lieux découverts.
Chez le ministre (Passerina cyanus) d' Amérique du nord, le mâle est bleu vif en plumage nuptial
et brunâtre en plumage éclipse.
Mais en volière, on constate que si le passage du plumage nuptial au plumage éclipse est bien dû à une
mue, en revanche le bleu apparaît progressivement dans les plumes au printemps. On peut alors observer
chez l'oiseau des tectrices à pointe brune, à base noire et à région axiale bleue ; elles deviennent
ensuite entièrement bleues à base noire. Ce changement de couleur suppose une transformation chimique
importante permettant de passer d'une phaéomélanine brune à une eumélanine noire mais très dispersée
produisant un bleu structural. Cela nécessite la présence d'une enzyme qui d'abord inactive, cesserait
de l'être au printemps, probablement avec l' élévation de température, ou peut-être l' augmentation
de la durée des jours.
Diversité des mutations du plumage
Les mutations du plumage ont considérablement accru l'intérêt des oiseaux de cage. Dans la nature,
elles sont exceptionnelles et se conservent rarement. La plupart en effet sont récessives et le
croisement avec un autre individu donne des oiseaux porteurs de la mutation qui sont d'apparence normale.
Seul le croisement de deux porteurs peut redonner le type muté. De plus l'oiseau muté
(hirondelle ou alouette blanche par exemple) est souvent écarté du groupe en raison de son anomalie
et donc écarté de la reproduction. En élevage au contraire, l'oiseau muté fait l'objet de soins
attentifs, et à partir de lui, on s'efforce d'obtenir d'autres mutants, ce que facilite la connaissance
de la génétique. Pour cela on pratique des croisements consanguins, ce qui en entraînant un
appauvrissement génétique, favorise l'apparition d'autres mutations. On connaît donc de nombreuses
mutations du plumage en élevage, les unes portant sur la forme ou l'orientation des plumes,
les autres portant sur leur couleur.
L'apparition d'une huppe s'observe chez de nombreuses espèces qui en sont normalement dépourvues :
canari, perruche ondulée, diamant mandarin, moineau du Japon, etc. Leur aspect et leur importance
sont variés, mais leur origine est la même. Normalement les plumes de la tête se recouvrent d'avant
en arrière et leur orientation est la même. La huppe apparaît quand elles divergent à partir d'un
point de rebroussement. C'est ce que l'on observe chez le canari gloster ou par sélection, on est
parvenu à une huppe très régulière et bien retombante. Mais ce point d'inversion peut devenir une
ligne médiane et les plumes retombent alors de part et d'autre de la tête. Une fragmentation de la
ligne peut donner une huppe frontale et une huppe occipitale se tournant le dos. On peut donc obtenir
une grande diversité de huppes, comme cela s'observe dans la nature pour des oiseaux naturellement
huppés (calopsitte, cardinal huppé, alouette huppée,...).
Plus rarement, un point de rebroussement peut affecter une autre région du corps : épaules,
poitrine, croupion...On a une frisure et par sélection et croisements de mutants, on a pu parvenir
à des oiseaux plus ou moins frisés (moineau du Japon, perruche ondulée, canaris). Huppes et frisures
apparus en élevage, montrent comment ont pu se développer les magnifiques plumages observés chez
les paradisiers, les colibris, l'oiseau lyre, etc.
Si dans la nature, les mutations de la couleur ont peu de chances de se maintenir, elles sont
très recherchées en élevage. Certaines portent sur les caroténoïdes : un rouge pouvant être remplacé
par un jaune ou plus rarement l'inverse ; l'intensité de la couleur peut être moindre, ou bien le
caroténoïde peut gagner sur la mélanine. Souvent en effet, et notamment à la puberté, le caroténoïde
s'est installé à la faveur d'un recul de la mélanine. Aussi une régression de celle-ci peut donc
lui être favorable. Beaucoup de mutations concernent la mélanine. Elle peut être moins abondante ou
changer de couleur (le noir cédant la place au brun) ; son extension peut être moindre, les dessins
qu'elle produit peuvent se modifier, etc.
La plupart des mutations observées en élevage sont dues à des allèles récessifs ; elles correspondent
à l'affaiblissement ou même à la perte d'un caractère présent chez l'individu normal. Chez le canari,
le remplacement du noir par du brun correspond à la perte de l'enzyme assurant la polymérisation
nécessaire pour passer à l'eumélanine. Chez le canari agate, le dépôt de mélanine noire commence
plus tard, chez le canari isabelle, les deux cas précédents s'additionnent. Chez le diamant de Gould,
la poitrine est normalement violette et cela est dû à la coexistence de mélanine brune et
de mélanine noire. La disparition de l'eumélanine donne une poitrine rose indien, celle de la
phaéomélanine donne une poitrine bleue ; l'absence totale de mélanine donnant une poitrine blanche.
Certaines mutations cependant sont dues à des gènes dominants, mais ceux-ci sont létaux à l'état
homozygote. On peut considérer qu'elles produisent un caractère nouveau, ce qui est le cas de la huppe
en élevage ou de la couleur grise chez la perruche ondulée. .
Les aberrations de couleur.
Nous appelons ainsi les anomalies qui concernent les couleurs du plumage et qui ne peuvent être
imputées à des mutations caractérisées. Elles ne sont pas semble-t-il héréditaires. La plus connue est
le mélanisme.
Le mélanisme est dû à un hyperfonctionnement de l'hypophyse, entraînant un excès d'hormone
mélanotrope. Il peut être plus ou moins important. Ainsi est apparu un chardonneret à tête noire et
dont le masque blanc et rouge, avait donc disparu. Le mélanisme n'affecte pas le génotype de 1'individu.
Ainsi au Brésil est apparu un canari noir qui dans des croisements s'est comporté comme étant de
génotype noir-brun, qui est celui du canari sauvage ; on n'a pas obtenu d'autres canaris noirs.
Un cas très intéressant a concerné le diamant de Gould. Dans un élevage est apparu un mâle au dos
vert-clair et à la poitrine d'un très joli bleu cobalt.
Normalement, le dos est vert et la poitrine violette chez le mâle. On pouvait penser à une mutation
nouvelle, mais la soeur de cet oiseau, par ailleurs normale, a une poitrine violette (et non mauve)
fortement tachée de bleu. Nous sommes là en présence de cas de mélanisme. Le bleu structural provient
d'une plus grande abondance de mélanine noire aux dépens de la mélanine brune. L'observation d'autres
diamants de Gould atteints également de mélanisme a permis d'observer des étapes correspondant à une
mélanisation croissante : le bleu apparaît dans la poitrine avec la disparition de la phaéomélanine,
si l'eumélanine devient plus importante des taches noires apparaissent dans le bleu, et au delà du noir
envahit l'ensemble du plumage : les cuisses deviennent noires, le vert du dos s'assombrit,
le jaune du ventre devient grisâtre. Finalement on aboutit à un oiseau ayant la région antérieure
noire et le reste du corps grisâtre. Curieusement le rouge du masque peut être conservé.
Une autre aberration de couleur peut s'observer chez le diamant de Gould. Normalement la séparation
entre le violet de la poitrine et le jaune du ventre est nette et franche. Mais une bande rouge
peut apparaître à la limite du jaune. Elle correspond, semble-t-il, à une concentration plus
importante du caroténoïde. Cette particularité n'a pu jusqu'alors être fixée et devenir héréditaire.
Cela cependant pourrait arriver tout comme il n'est pas impossible que des cas de mélanisme puissent
être fixés.
Le problème des panachures
Quand localement le dépôt de mélanine ne se fait pas, une tache apparaît dans le plumage.
Si la couleur est due à le seule mélanine, on a une tache blanche ; si un caroténoïde intervient,
la tache a la couleur du caroténoïde, elle est jaune chez un canari et rouge chez un oiseau à fond rouge.
Quand les taches sont nombreuses et importantes, on a une panachure.
La panachure a une origine génétique, car elle peut se transmettre à la descendance,
mais le plus souvent la situation d'une tache et son importance ne sont pas conservées.
Chez différentes espèces d' oiseaux d'élevage, une seule mutation peut faire disparaître
la mélanine du plumage ; cette mutation, qui est récessive, conserve aux yeux leur couleur normale :
l'oiseau est blanc à yeux noirs. C'est ainsi que sont apparus des mandarins, des paons, des pigeons
blancs.
Mais on peut obtenir des oiseaux blancs par sélection, en croisant entre eux des oiseaux tachés de
blanc et en conservant chaque fois ceux qui étaient les plus blancs. Cette méthode est à l'origine
des moineaux du Japon et des calfats (ou paddas) blancs, et de cette façon on a obtenu les canaris
jaunes à yeux noirs. Il y a donc des gènes qui déterminent la présence de mélanine, les uns
dans l'ensemble du plumage, les autres en ses différentes régions. Ces derniers sont des gènes de
localisation. Il est très probable que les actions de ces gènes interfèrent, ce qui explique que
la transmission d'une panachure n' est que très rarement parfaite.
L'observation des pigeons domestiques montre que chez eux, les dessins mélaniques sont très
généralement symétriques : les rémiges étant également colorées des deux côtés du corps.
De même en croisant un canari vert (type sauvage) avec un canari jaune, tous deux issus de parents
semblables à eux, on obtient des canaris panachés mais aux dessins symétriques ; certains oiseaux
étant jaunes à tête, ailes et queue vertes. Cela montre que les gènes de localisation sont,
chez les oiseaux sauvages, probablement ordonnés à l'intérieur d'un ou de quelques chromosomes.
La répartition désordonnée des taches, qui s'observe chez les oiseaux d'élevage, serait le résultat
de crossing-over ayant disloqué ces chromosomes. Cela semble confirmé par le fait que le désordre
apparaît quand on croise un canari panaché symétrique avec un canari non panaché.
D'autres gènes inhibent plus ou moins la mélanisation. C'est notamment le cas d'un facteur qui
en supprimant aussi la mélanine des yeux, donne des oiseaux blancs à yeux rouges ou albinos,
ou encore des jaunes à yeux rouges). Par suite, on ne peut s'étonner de voir que si la panachure
a bien une origine génétique, son comportement dans les croisements est imprévisible .
Couleur du plumage et hybridation.
Le plumage des hybrides n'est que partiellement intermédiaire entre les plumages
des espèces parentales. Cela vient de ce que chez l'hybride, des gènes qui étaient dominants
chez les parents vont coexister et qu'un nouvel équilibre va s'établir entre eux. Certains gènes vont
s'imposer ; d'autres resteront cachés. De plus, des gènes qui n'étaient présents qu'en un seul
exemplaire ne passeront pas chez l'hybride.
Les hybrides sont très généralement moins beaux, moins colorés que les espèces parentales ;
ils sont souvent moins riches en caroténoïdes. Cela vient de ce que souvent le caroténoïde est mis
en place aux dépens de la mélanine et que c'est une inhibition qui assure sa place. Celle-ci, quand
elle relevait d'un gène dominant, peut ne plus avoir lieu. Il peut aussi y avoir, chez l'hybride,
une synthèse moindre ne permettant pas un dépôt suffisant. Ainsi on constate que pour qu'un hybride
ait un bec rouge, il faut que les deux parents soient à bec rouge (ou à défaut jaune). C'est ce que
montre l'hybridation du diamant à gouttelettes (Poephila guttata) ; croisé avec le diamant
mandarin (Taeniopygia guttata), il donne des hybrides à bec rouge car les deux parents sont à
bec rouge, mais on a des hybrides à bec gris quand on le croise avec le diamant modeste
(Poephila modesta )
qui est à bec gris. Avec le diamant à longue queue (Poephila acuticauda) qui est à bec jaune,
on obtient des hybrides à bec rouge. Cela montre que le caroténoïde doit être présent chez les
deux parents. Comme il existe une sous-espèce du diamant à longue queue qui a le bec rouge, on peut
penser que la différence entre un bec rouge et un bec jaune, pourrait résider dans une concentration
différente du caroténoïde. Importante, elle permettrait l' obtention d'un bec rouge ; moindre on aurait
un bec jaune. Il pourrait en être de même pour le caroténoïde du plumage.
Certains caractères de l'un des parents se retrouvent très généralement chez l'hybride.
Ainsi en est-il du bec pointu, de la bande alaire jaune vif du chardonneret, et assez souvent du masque
fait de noir, de blanc et de rouge. Il est présent chez ses hybrides obtenus notamment avec le canari,
le serin cini, le bouvreuil pivoine,... Il semble bien que la présence de ce masque soit liée à une
inhibition de la mélanine par un gène dominant. L'absence du masque chez un hybride pourrait provenir
de ce que le père chardonneret était hétérozygote pour ce gène. On a pu montrer que chez le diamant
de Gould, la présence d'un masque rouge était conditionnée par une inhibition de la mélanine,
due à un gène dominant lié au sexe.
Les possibilités d'hybridation sont bien plus importantes chez les oiseaux que pour les mammifères.
Le diamant mandarin s'hybride assez facilement avec une dizaine d'espèces différentes, le canari
également. La fertilité des hybrides qui témoigne d'une parenté génétique entre les parents est assez
fréquente. Des hybrides fertiles sont possibles entre le canari et le serin cini, le verdier d'Europe,
le chardonneret mais aussi avec le tarin du Vénézuela ; les femelles hybrides étant très généralement
stériles, une deuxième génération s'obtient en croisant les mâles fertiles obtenus (tous ne le sont pas)
avec une femelle canari. De tels croisement sont utilisés pour faire passer chez une espèce voisine,
une mutation nouvellement apparue. On a ainsi obtenu de nouvelles variétés de couleur chez le verdier
d'Europe (à partir de canaris mutants), chez les Agapornis personata (en croisant
les sous-espèces p.personata et pfischeri), et chez diverses perruches platycerques.
Le bleu n'est conservé dans l'hybridation que s'il correspond à une absence du caroténoïde,
car il n'y a pas acquisition de microstructures et cela en raison même de la complexité génétique
qui conditionne leur action.
Les couleurs des oiseaux half-siders.
Les oiseaux dits half siders sont une curiosité d'élevage, et leur étude s'est donc faite à partir
des élevages. Ils sont méconnus des ornithologues qui cependant ont signalé dans quelques ouvrages,
la présence dans la nature, de curieux oiseaux dont le plumage était mâle d'un côté du corps et
femelle de l'autre. C'est ainsi qu'on a pu voir un bouvreuil pivoine dont la poitrine était rose vif
d'un seul côté. Cette particularité qualifiée de gynandromorphisme est rarissime dans la nature,
mais connue des éleveurs et une étude systématique a montré qu'elle pouvait s'observer chez de
nombreuses espèces et qu'elle ne se limitait pas au sexe. En effet, les croisements entre deux variétés
de couleurs différentes peuvent donner des individus présentant de part et d'autre du corps les
deux phénotypes des parents. C'est ainsi que l'on a pu observer des perruches ondulées bleues d'un
côté du corps et vertes de l'autre, ou bien mi-grises, mi-bleues ; des canaris blancs d'un côté,
jaunes (ou rouges) de l'autre ; des Inséparables (Agapornis) mi-mauve, mi-bleus ; etc. Plus
curieux sont les canaris dont la huppe ne concerne qu'une moitié de la tête, ou ces diamants de Gould
qui cumulent quatre particularités différentes : poitrine mi-blanche, mi-violette, masque mi-rouge,
mi-noir. De tels oiseaux ont été appelés half-siders par les éleveurs anglais ("deux moitiés côte à côte") ;
en France, on les a appelés "panachés symétriques".
Le gynandromorphisme a été observé chez des papillons et en laboratoire chez des drosophiles.
L'éminent généticien T .H. MORGAN a expliqué le phénomène par une répartition anormale des chromosomes
sexuels, lors de la première division d'un reuf. Chez le drosophile le sexe est déterminé par la
présence d'hétérochromosomes X et Y, le mâle ayant XY et la femelle XX. Ceux-ci forment une paire et
normalement, dans un reuf, la paire XY se divise pour donner XXYY se répartissant en XY et XY dans
les deux cellules-filles. Mais un accident peut se produire et on peut obtenir XX et yY, le couple yY non
viable est alors remplacé par un couple XY, d'où deux phénotypes, l'un femelle, l'autre mâle, qui vont
se juxtaposer. La symétrie fondamentale de l'organisme les répartit de part et d'autre du corps.
Chez les oiseaux (tout comme chez des insectes), le sexe est également déterminé par des
hétérochromosomes, mais chez eux, c'est la femelle qui a deux hétérochromosomes différents Z et W,
dont la répartition anormale entraîne le gynandromorphisme. Dans le cas plus général des half-siders,
c'est également une répartition anormale d'un couple de chromosomes qui est en cause. Ainsi en croisant
une perruche bleue (mutée) avec une perruche verte (type sauvage), on peut obtenir des half-siders
mi-verts, mi-bleus. Cela suppose que les deux moitiés du corps ou du moins de la peau relèvent de
gènes différents. Supposons que la couleur verte soit due à un gène y dominant et la couleur bleue
à son allèle récessif b. Les embryons issus du croisement d'une perruche verte et d'une perruche bleue
recevront le couple de chromosomes Yb et donneront des perruches de couleur verte mais porteuses de
bleu sauf si ce couple Yb se divise anormalement ! Il peut en effet donner YY et bb et on aura de
part et d'autre du corps deux couleurs différentes... La rareté des half-siders montre qu'il y a
normalement un contrôle embryonnaire qui élimine les anomalies, mais qu'une défaillance de ce contrôle
est possible.
Certaines mutations de couleur sont liées au sexe, par suite, le gynandromorphisme peut s'accompagner
de la coexistence de couleurs différentes. Ainsi un diamant de Gould peut être mi-mâle, mi-femelle et
présenter un masque mi-rouge, mi-noir. Chez cet oiseau, le sexe se lit sur le plumage : le mâle, de
type sauvage, a une poitrine violette, la femelle une poitrine mauve, de plus chez celle-ci la séparation
entre la couleur de la poitrine et celle du ventre est assez confuse alors qu'elle est très nette chez
le mâle. Très exceptionnellement deux couples de chromosomes différents peuvent être concernés.
C'est ainsi qu'en France est apparu un diamant de Gould à tête mi-rouge, mi-orange, et mâle à gauche,
femelle à droite ; cet oiseau a peu vécu mais il a pu être autopsié. En Espagne c'est un gould à
poitrine mi-blanche, mi-mauve et tête mi-noire, mi-rouge qui est apparu. Chez ces deux oiseaux,
deux couples de chromosomes étaient concernés, l'un étant le couple déterminant le sexe mais aussi
la couleur du masque, l'autre portant les gènes commandant la couleur de la poitrine.
Intérêt Contrairement à ce que l'on peut croire,
l'intérêt des oiseaux half-siders est exceptionnel. D'abord par le fait que les oiseaux sont les
seuls vertébrés à présenter cette anomalie. Bien qu'il existe en élevage, notamment chez des reptiles,
des mutations de la couleur, aucun serpent, aucun lézard n'ont présenté ce phénomène, qui ne s'observe
d'ailleurs, ni chez les chats, ni chez les chiens. Le contrôle embryonnaire évoqué plus haut serait
particulier aux oiseaux et en rapport avec l'importance prise chez eux par le plumage.
L'existence des half-siders est une confirmation de la théorie chromosomique de l'hérédité.
Elle contribue à la connaissance de la génétique du plumage des oiseaux de cage. Les caractères
concernés dépendant d'allèles (variantes d'un même gène), et les cas les plus complexes permettent
de repérer des liaisons entre gènes. Ainsi chez le gould, la couleur du masque est liée au sexe mais pas celle de la poitrine. Chez la perruche ondulée, on constate que la même paire de chromosome porte les gènes intervenant dans l'apparition de la couleur de fond : le vert. Il s'agit des gènes commandant le dépôt du caroténoïde, la mise en place de la microstructure source du bleu, le déroulement de la mélanisation, le dosage mélanine noire/ mélanine brune
aussi bien dans les barbes (facteur violet) que dans les barbules (facteur foncé).
Le fait que chez un half-sider bicolore, comme la perruche ondulée mi- verte, mi-bleue,
la séparation entre les deux couleurs soit imparfaite, montre qu'une migration de cellules cutanées
en dehors de la limite normale est possible. Cela confirme ce que l'on savait sur les migrations
cellulaires au cours de la croissance d'un individu.
Les observations portant sur la sexualité des half-sider sont très intéressantes. Ainsi on a pu
faire l'autopsie d'un diamant de Gould réunissant deux phénotypes; à gauche celui d'un mâle à tête
orange, à droite celui d'une femelle à tête rouge. Deux paires de chromosomes étaient concernées :
celle formée par les chromosomes sexuels dont dépendait le sexe mais aussi la présence d'un caroténoïde
dans le masque et la paire portant les gènes déterminant la couleur du caroténoïde.
Pour qu'un caroténoïde soit présent, il faut que le dépôt de mélanine du masque soit partiellement
inhibé et cette inhibition est provoquée par un gène dominant lié au sexe.
On pouvait s'attendre à trouver à gauche un testicule et à droite un ovaire. Mais contrairement
à cela, l'oiseau avait à gauche un testicule atrophié, petit et mou, et à droite un testicule normal,
ferme rosé et fonctionnel. Ce qui était en rapport avec le comportement de cet oiseau qui, s'il était
mort avant de se reproduite, avait montré un comportement de mâle.
Cela montre que la réalisation du sexe, chez les oiseaux, n'est pas simplement génétique.
Initialement il y a deux gonades rudimentaires qui peuvent évoluer dans le sens mâle ou femelle.
Dans la moitié droite, on à un plumage femelle, dû à la présence d'oestrogènes, et cependant un ovaire
n'apparaît pas ! C'est donc qu'à droite, la gonade est insensible aux oestrogènes.
A gauche, où on a un plumage mâle, mais la gonade est atrophiée et cela bien que l'hormone femelle
soit véhiculée par le sang et que la destinée normale de cette gonade soit de devenir un ovaire.
Il faut donc supposer que si l'action n'a pas lieu, c'est parce qu'il manque à la gonade les récepteurs
indispensables pour qu'agisse l'hormone femelle. Ils sont absents parce que ce côté est génétiquement
mâle. Ainsi pour qu'apparaissent un ovaire, il faut une prédisposition génétique (seule la gonade gauche
peut devenir un ovaire), et un sexe de type femelle qui va conditionner la présence des récepteurs et la production de 1 'hormone femelle.
En l'absence d'un ovaire à gauche, la gonade droite évolue en testicule.
On n'a pas observé la reproduction d'oiseaux mâles à gauche et femelles à droite. En revanche un
half-sider, femelle à gauche et mâle à droite, a pondu et s'est comporté comme une femelle normale.
Principales conséquences.
Originalité du plumage. Par leur origine profonde, les plumes se distinguent des écailles
des reptiles et se rapprochent des poils des mammifères. Elles apparaissent en perçant la surface
de la peau, alors que les écailles des reptiles sont dues à l'épaississement de sa surface.
Si la peau est sèche ou la jeune plume trop molle, un kyste se produit, contenant la plume qui ne
peut percer. Ce phénomène fréquent chez certains oiseaux mutants peut se comparer à l'enkystement
d'un poil de barbe chez un homme, suite à une lésion de la peau.
La mise en place de la plume, son orientation, son développement, font l'objet d'une régulation
minutieuse, indispensable dans le cas des microstructures dont la précision pour donner une couleur
précise doit être du 1/1O de micron. La mélanisation est également étroitement contrôlée de manière
a obtenir telle variété de mélanine et sa répartition rigoureuse dans la plume. Les ocelles du paon
supposent une régulation extraordinaire et cela d'autant plus que celle-ci est programmée.
La plume étant un organe mort, son état définitif est l'épanouissement d'une phase de croissance
qui va au delà du vivant. Ce qui n'est pas le cas pour l'éclosion d'une fleur ou la mise en place
d'une patte ou d'un oeil chez un vertébré.
Apparition des couleurs.
L'apparition tardive des caroténoïdes chez les jeunes permet de penser que ces pigments sont apparus
postérieurement aux mélanines. De plus on constate souvent que la mise en place d'un caroténoïde demande
l'inhibition de la mélanine qui en occupait la place (c'est le cas pour le masque du diamant de Gould).
Les mélanines seraient donc apparues en premier dans le plumage. D'abord la phaéomélanine qui par sa
couleur rappelant le sol et les feuilles mortes favorisait le camouflage, puis la mélanine noire
qui est plus élaborée. Les caroténoïdes provenant de l'alimentation, on peut penser que celle-ci
serait devenue plus riche en fruits, bourgeons et insectes ; alors qu'initialement elle était à base
de débris végétaux et de proies vivant sur le sol (vers, limaces). Par ailleurs, les caroténoïdes
rendant les oiseaux plus repérables, il est probable qu'ils étaient devenus capables de fuir rapidement
et donc de voler. Les microstructures, source également de couleurs vives, seraient apparues en même
temps ou peu après. Le passage dans l'ombre ayant pour effet d'éteindre les couleurs, on peut penser
que le passage en milieu forestier a joué un rôle important dans l'acquisition des riches couleurs
du plumage.
Les mutations des couleurs du plumage permettent de retrouver des étapes dans leur l'apparition.
On peut considérer que les mutations récessives et dérivant les unes des autres nous font parcourir
en sens inverse les diverses étapes de la mélanisation, et aussi celles qui ont conduit aux caroténoïdes
les plus élaborés. Tout comme le mélanine brune a précédé la mélanine noire, le jaune dilué a précédé
le jaune intensif et le rouge dériverait du caroténoïde jaune.
Sexualisation du plumage. Chez la plupart des oiseaux, le mâle se distingue de la femelle par
son plumage plus coloré et plus riche en ornements divers : huppe, camail, plumes en faucille, etc.
Ces différences sont très marquées chez les Phasianidés, les Colibris, les Paradisiers, etc.
Il est cependant des oiseaux où mâle et femelle bien que très colorés sont pratiquement semblables
(diamants à gouttelettes, chardonneret) ; la richesse du plumage n'est donc pas nécessairement liée
au sexe mâle. Par ailleurs, des expériences sur des gallinacés ont montré qu'une poule à laquelle
on enlevait son seul ovaire prenait à la mue suivante un plumage de coq, et que c'était une inhibition
due à l'hormone femelle qui faisait apparaître le plumage femelle. Cette inhibition n'a pu apparaître
que tardivement, probablement pour protéger les femelles des prédateurs. On peut donc penser que les
oiseaux étaient initialement très colorés.
La richesse des couleurs, la complexité des parures sont des caractères sexuels secondaires qui
sont apparus progressivement, en rapport avec une sexualisation de plus en plus importante : dans
certains cas, le mâle et la femelle, bien que riches en couleurs sont cependant différents (Eclectus).
On peut considérer que la sexualisation croissante a joué un rôle capital dans l'apparition des
oiseaux.
Acquisition de caractères nouveaux. L'étude du plumage nous montre comment a pu apparaître
et se maintenir un caractère nouveau. Nous avons vu que la huppe qui apparaît chez les oiseaux de cage,
est due à un gène dominant létal à l'état homozygote. Par suite, cette huppe se maintient dans l'espèce
où elle est apparue. Il est probable que si ce caractère est létal, c'est parce que la mutation qui
lui a donné naissance a affecté quelque gène voisin, au rôle capital. Il suffit d'imaginer une nouvelle
mutation qui supprimera cette relation pour que le caractère létal disparaissant, la huppe se
généralise. Elle ne sera conservée que si elle constitue un avantage ; mais une huppe n'est pas un
handicap et comme elle s'inscrit dans le cadre d'une ornementation croissante, elle sera conservée.
Autre cas, celui de la mutation remplaçant le vert par du gris-vert, chez la perruche ondulée.
Cette mutation correspond à une désorganisation de la couche structurale produisant le bleu, composante
du vert. On peut voir là un recul évolutif, mais la couleur qui en résulte est tout à fait conforme
au feuillage gris-vert des eucalyptus, devenus abondants en Australie, et qui accueillent des perruches.
Ce n'est donc pas un handicap. Due à un gène dominant mais létal à l'état homozygote, cette mutation
se maintient sans difficulté dans la nature. Il est probable qu'elle prendra de l'importance et que
le caractère létal finira par disparaître. La population de perruches ondulée, présentes dans la nature,
deviendra progressivement gris-vert.
L'apparition de caractères létaux, à l'état homozygote, nous paraît être une étape intéressante
dans l'acquisition d'un caractère nouveau. Elle permet de tester l'intérêt de ce caractère au contact
de l'espèce type. Sauf isolement géographique, les mutations récessives n'ont que très peu de chances
de subsister.
Particularités génétiques. Il y a incontestablement
des gènes qui initient une structure, la huppe par exemple et d'autres qui ajoutant leur action modifient
cette structure. La huppe devenant plus ou moins importante. Mais il y a aussi des interférences entre
gènes en cela qu'une huppe est souvent mélaninisée, de telle sorte qu'en élevage, les canaris jaunes
à huppe noire ne sont pas rares. Ces interférences pourraient être due à une proximité sur un chromosome.
Il y a également des groupements de gènes d'action voisine ; c'est le cas des facteurs de localisation
que nous avons évoqués au sujet des panachures ; leur groupement initial (oiseau sauvage) pourrait
être calqué sur la géographie du corps. Ce groupement expliquerait l'extension d'une tache ou sa
régression au cours d'une série de croisements.
Chez la perruche ondulée, les croisements permettent de définir un ensemble de gènes intervenant
pour donner un bleu plus ou moins foncé et le violet qui en dérive. Sur le même chromosome,
il y a normalement des facteurs distincts qui commandent la présence dans les barbes, d'une couche
structurale, son organisation, son contenu mélanique (présence et abondance des microgranules
d'eumélanine) et aussi un facteur foncé qui décide de la mélanisation des barbules. Le facteur violet
qui fait virer le bleu au violet, en introduisant de la mélanine brune dans les barbes, est voisin
de ces facteurs.
Si dans les plumes la mélanisation, chez de nombreuses espèces, se déroule de la même façon,
au point d'y observer des mutations comparables (même aspect du plumage), des différences apparaissent
dans la situation du gène responsable, qui lié au sexe chez une espèce, sera libre chez une autre.
Un même résultat (canari jaune à yeux rouges) peut s'obtenir de plusieurs manières et un même processus
peut avoir des effets différents. Ainsi chez les aras, un bleu intensif correspond à l'existence
de barbules entièrement noires, mais il n'en est pas de même chez la perruche ondulée où le bleu le
plus foncé (bleu cobalt) correspond à des barbules partiellement noires. Les croisements montrent
que le passage du bleu au bleu cobalt correspond à l'introduction d'un facteur foncé et qu'avec deux facteurs foncés on n'a pas un bleu plus sombre mais un mauve mêlé de brun.
De même une perruche verte à deux facteurs foncés n'est pas vert pur mais vert olive.
Cette anomalie apparente serait due à ce que chez cet oiseau, le facteur foncé stimule la mélanisation
mais que la polymérisation devient incapable de transformer l'excès de mélanine brune en mélanine noire.
Par suite avec deux facteurs foncés, de la mélanine brune persiste dans la plume et donne les couleurs
mauve brunâtre et vert olive.
Conclusion.
L'étude du plumage des oiseaux en montre la grande complexité. La plume par son origine profonde,
son organisation permettant différentes fonctions (dont l'homéothermie et le vol), par sa richesse
en couleurs, apparaît comme un organe fondamental, très caractéristique des oiseaux.
L'importance de la sélection sexuelle chez les oiseaux (priorité donnée aux mâles les plus colorés)
permet de penser qu'elle a pu jouer un rôle important dans leur évolution. Les plumes ont pris de
l'importance parce qu'elles étaient pigmentées, tout comme cela s' est produit pour le bec des Toucans
devenu énorme. Probablement filiformes à l'origine, elles sont devenues moins nombreuses mais plus
longues et plus larges, ce qui leur a permis d'être récupérées pour le vol. La coloration croissante
des plumes suppose un changement dans le mode d'alimentation et dans le mode de vie des futurs oiseaux.
Ils seraient passés en milieu forestier, ce qui leur aurait permis de survivre au temps des dinosaures.
Et c'est dans les forêts, que sautant de branche en branche ils auraient découvert le vol.
Ce milieu remarquablement constant et durable expliquerait leur parfaite adaptation au vol :
la forêt a fait l'oiseau.
D'autres observations concernant des fossiles et les oiseaux actuels (étude du vol) ou résultant
d'études génétiques récentes (recherches sur l'origine des hétérochromosomes humains), permettent de
penser que l'origine des oiseaux serait aussi ancienne que celle des mammifères, dont-ils partagent
de nombreux caractères Elle serait donc antérieure aux premiers dinosaures et cela bien que certains
de ceux-ci aient pu acquérir des plumes, sans cependant avoir pu voler.
Maurice POMAREDE, 19 rue de l' hirondelle, 34090 MONTPELLIER
N.B. : pour ceux qui voudraient aller plus loin, le professeur POMAREDE a écrit un livre magnifique
intitulé "La couleur des oiseaux et ses mystères" éditions Armand Colin, que nous vous invitons à
découvrir.
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