La sarcelle Baïkal

(Anas formosa)

La sarcelle Baïkal est toujours un des canards les plus convoités par nous éleveurs. Pour le simple fait d'une part que sa reproduction n'est toujours pas évidente et d'autre part, qu'elle est sans exagération une des plus belles sarcelles du monde. Il y a 10 ans, la reproduction chez les éleveurs amateurs était très rare, puisqu'il n'était possible que d'acquérir des oiseaux prélevés dans la nature qui s'adaptaient assez mal à la captivité. Entre temps quelques grands éleveurs étrangers sont parvenus à la reproduire et aujourd'hui nous pouvons plus facilement nous procurer des sujets d'élevage.

Il y a quatre ans j'ai acquis un couple de Baïkal en ex-Allemagne de l'est. Il était très peu farouche envers moi et me mangeait dans la main. Malheureusement il n'en n'allait pas de même avec les autre canards. Il ne faisait aucune tentative de défense et se laissait facilement chasser, mais ne semblait pas visiblement traumatisé pas ce fait. En plus un mâle sarcelle versicolore se joignit au couple Baïkal, que j'avais acheté pour essayer de l'introduire dans un trio versicolore. En été, ce mâle versicolore devenait franchement agressif envers le mâle Baïkal et empêchait toute tentative d'accouplement et toute recherche de nidification par sa présence "collante". Heureusement l'année suivante le versicolore se joignit à une jeune femelle de son espèce. Mais la chose n'était par pour autant arrangée. Le temps de reproduction venu, les deux Baïkal semblaient encore plus timides qu'auparavant envers les autres canards. Ils passaient leur temps dans un coin du jardin bien protégés de la vue des autres canards. Le couple était inséparable, s'accouplait les rares fois qu'il était dans le bassin et semblaient rechercher des endroits propices pour une nidification. Comme il ne rejoignait même pas le bassin pour la nuit, le malheureux mâle se fit tuer par un carnassier, malgré la clôture électrique. J'ai noté que la femelle depuis seule, ne se laisse plus du tout "marcher sur les pieds" par les autres canards.

Un autre probléme me tracassait concernant ce mâle Baïkal. Les Baïkals appartiennent aux espèces qui portent le moins longtemps leur plumage nuptial. Ce mâle prenait spécialement longtemps, et en fait son plumage n'était jamais vraiment parfait avant la mue d'été. Les endroits jaunes de la tête étaient toujours parsemés de noir. J'ai pris des renseignements concernant ce problème auprès d'un spécialiste (Monsieur KOLBE -auteur d'ouvrages sur les anatidés), qui présume que cela est probablement dû à un problème hormonal. On pourrait dire un genre de "flemme d'hormones sexuelles" des mâles sans concurrence. Puisqu'il est seul et n'est pas constamment en excitation par la présence d'autres mâles, il ne se donne inconsciemment pas de peine de se faire beau, sa femelle lui étant assurée. Ce point de vue semble plausible mais reste toute de même à confirmer par des éleveurs qui en possèdent plusieurs couples ?

Quand il subsiste des difficultés à faire reproduire une certaine espèce, je trouve assez intéressant d'en connaitre plus sur sa vie à l'état sauvage. Ainsi je suis tombée sur une étude très détaillée de Slimbridge sur la sarcelle Baïkal en Corée du Sud où elle passe la saison d'hiver : Au début de notre siècle la sarcelle Baïkal était considérée comme le canard le plus ordinaire et le plus nombreux de l'Asie de l'est. Son aire de nidification se trouvant dans les immenses étendues de Sibérie du nord-est jusqu'au Kamchatka et son aire d'hivernage au sud de la Chine, Corée et Japon . Des volées migrantes de 10 000 oiseaux n'avait rien d'extraordinaire et pouvaient atteindre parfois jusqu'à 100 000 sujets. Vers les années 1970 les scientifiques constataient un déclin dramatique de la sarcelle autrefois si abondante. En 1980 on recensait sur tout le territoire du Japon moins de 10 000 sujets hivernants. La ou les raisons du déclin ne sont pas connues, mais on suppose la chasse exagérée. En 1984 on découvrit en Corée du Sud, dans la vallée de la rivière Nakdong, non loin de la ville de Pusan, une importante population de sarcelles Baïkal hivernantes, d'environ 18 000 à 20 000 oiseaux. Ce qui représente après estimations à peu près 80% de la population mondiale actuelle. Un groupe de scientifiques en ornithologie, anglais et coréens, entreprirent une étude de Décembre 89 à Janvier 90 des sarcelles hivernantes.

Le vallée du Nakdong est une région très importante de cultures de riz, céréales et légumes. Cet endroit se trouve sur la même latitude que Gibraltar. Les 20 000 sarcelles Baïkal, d'autres anatidés et oiseaux aquatiques peuplent trois réservoirs d'eau d'une surface d'environ 430 ha entourés de champs de riz. Les sarcelles arrivent là-bas fin Novembre et repartent début Mars. On constatait d'après les analyses des déjections et de quelques sarcelles mortes par collision avec des lignes à haute tension, que leur régime consiste exclusivement en riz glané sur les rizières, récoltées à la machine et asséchées. La quantité mangée par oiseau est estimée de 60 à 125 g, ce qui correspond environ à un volume d'une demi à une bonne tasse à café pleine.

La journée des sarcelles se déroulait de la façon suivante : De 8h à environ 18 h les Baïkals se reposaient sur les réservoirs d'eau. Des volées en petit nombre se levaient de temps à autre pour faire un tour. Pratiquement aucune prise de nourriture par filtrage ou barbotage sur l'eau ou sur les bords des réservoirs, comme c'est le cas pour la plupart des sarcelles, n'a pu être observé. Aux alentours de 18h (la nuit commençait à tomber à 11h) les 20 000 sarcelles se levaient toutes ensembles en quête de nourriture pour rejoindre les champs de riz qui se trouvaient à au moins 7 km et plus, des étendues d'eau. Elles restaient toute la nuit dans ces champs. Une heure après l'aube elles rentraient en même formation, comme elles étaient parties le soir. Les observateurs étaient très impressionnés par les virevoltes, les levées et atterrissages des Baïkals. Certes semblables aux autres plus petites sarcelles mais leurs vitesses et manoeuvres en vol ressemblaient plutôt aux formations de petits limicoles ou étourneaux.

Les scientifiques comptaient faire une étude sur l'âge des oiseaux. Connaissant bien la Baïkal en captivité en Europe, ils pensaient qu'à cette période de l'année (Décembre/ Janvier) et compte tenu du régime alimentaire très pauvre en riz, ils pouvaient encore facilement distinguer les jeunes mâles de l'année par leur plumage nuptial encore imparfait, des mâles adultes. Ils avaient dû constater que leurs suppositions étaient erronées. Tous les mâles était identiques et leur plumage complètement terminé, dans toute leur splendeur. De toute la population des Baïkals sur ces réservoirs il y avait 60 % de mâles. Environ 21 % des femelles étaient considérées comme accouplées, mais on ne constatait aucune activité d'accouplement durant la journée et que de très rares pariades à cette époque de l'année.

Il ressort de ce rapport que la sarcelle Baikal est en hiver extrêmement grégaire. Sous les climats relativement cléments la qualité de la nourriture ne semble pas avoir une grande importance durant la période d'hivernage et ce n'est apparemment pas non plus la qualité de la nourriture qui influence le développement du plumage nuptial.

Par contre le comportement et les besoins sont tout autres pendant la période de reproduction. Comme j'ai pu le constater chez l'éleveur chez qui j'ai obtenu mon couple.

Il possédait plusieurs couples reproducteurs et à partir de Mars il les séparait dans des petits enclos d'environ 20m2, mais très bien aménagés. Les enclos possédaient de l'eau de source, arbustes, plantes aquatiques très abondantes et une petite zone marécageuse. Pour réussir la nidification le couple préfère être seul, sans être dérangé par les autre canards. Ses femelles faisaient en général deux pontes. Le premier nid était construit dans les joncs, la deuxième ponte était déposée dans une cavité un peu plus large et plus aisément à atteindre que pour les mandarins. J'ai fait moi même l'expérience. Les Baïkals nécessitent un peu avant et pendant la période de reproduction une nourriture riche en protéines. Les miens ont mangé les vers de farine dans ma main avec voracité et m'ont toujours accompagné dans le potager quand je bêchais la terre, pour récupérer les vers de terre.

Heidi ROY

sources : Wildfowl 42 (Rapport annuel du Wilfowl Trust, Slimbridge GB)


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