La poule de Barbezieux a connu une renommée certaine dès le XVIIIe siècle, pour ses chapons notamment, comme en témoigne un ouvrage gastronomique de référence en la matière publié en 1826 par Brillat Savarin. Elle a eu son apogée fin 19ème-début 20ème siècle. Elle a aussi subi trois déferlantes en deux siècles : l’invasion des poules asiatiques à partir du milieu 19ème ; la désaffection du public pour les œufs blancs dans la période de l’entre deux guerres ; l’avènement de l’aviculture industrielle des années 1960. Mais comme beaucoup de races anciennes de terroir, elle a pu être sauvée par quelques amateurs motivés, dans les années 1990. Mieux même, elle fait l’objet d’une revalorisation génétique et commerciale, initiée avec la création de l’Aspoulba, l’Association pour la Sauvegarde de la POULe de BArbezieux, lors du Comice de la Ville de Barbezieux, un certain week-end de septembre 1997. L’originalité de ce mouvement est de conjuguer, depuis le départ et jusqu’à maintenant, les efforts des “Conservateurs” de la race et ceux du “Groupement Qualité”, producteurs de “ poulets de race Barbezieux, race ancienne“ et de chapons. Cette association développe un esprit coopératif, dans la droite ligne du mouvement mutualiste créé en Poitou-Charentes au 19ème siècle pour réorganiser l’économie agricole de l’époque, dévastée alors par les ravages du phylloxera sur le vignoble. C’est sans doute la mise en œuvre de cette démarche, sur le plan de l’économie agricole mais aussi de l’écologie version préservation de la biodiversité, qui a contribué au soutien et à la collaboration d’organismes divers comme la Chambre d’Agriculture de Charente, le Conseil Général de Charente, le Conseil Régional Poitou-Charentes, l’Institut Régional de la Qualité. Actuellement 5 producteurs proposent à la vente quelques 8 000 poulets et 600 chapons, à l’année. Une activité exercée à titre complémentaire de leurs professions, tant il est vrai qu’elle tient autant de l’acte militant que du gain escompté qui n’est pas encore à la hauteur de l’énergie dépensée.
La poule de Barbezieux est le fruit de l’adaptation de la race à la terre de champagne du Sud Charente, de type argilo-calcaire. Cette terre a des effets singuliers que révèle l’observation. Exemples sur deux particularités locales : le coq de Barbezieux et le veau de Chalais. L’oreillon du coq - « un des points les plus caractéristiques de la race… d’une blancheur immaculée, sans le moindre filament rouge » - a tendance à présenter des traces de rouge sur des sols d’élevage granitiques. La viande du veau de Chalais est blanc rosé sur son terroir originel et rosé rouge en Limousin proche.
Des écrits anciens attestent aussi cet effet terroir. Une «Monographie de la race de Barbezieux» cite l’ingénieur agronome Voitellier, auteur d’un traité d’Aviculture dans une encyclopédie agricole de 1905, au sujet de la taille qui «résulte d’une aptitude locale, d’une convenance particulière du sol. Ce qui le prouve, c’est que les Barbezieux capables de se développer et de se reproduire sous tous les climats, atteignent rarement ailleurs l’ampleur et surtout la taille que leur donne le département de la Charente ». De même, une notice de M. Rochard, vétérinaire sanitaire, adressée en 1886 au maire de Barbezieux sur les «Conseils pratiques d’élevage» pour la mise en garde contre l’introduction « du cochinchinois dans nos basses-cours », souligne que « la race barbezilienne est très ancienne, mais elle a un peu moins de fixité dans ses caractères de transmission, surtout si elle est transportée sur un sol mixte, argileux, sablonneux et non calcaire ». Ainsi la nature du sol semble avoir été l’un des facteurs déterminant dans la pression de sélection qui a conduit à l’établissement de cette race « la plus grande, la plus forte de toutes les races, on pourrait même dire de toutes les races occidentales. Tout, dans la Barbezieux, a de l’ampleur : la crête, les barbillons, les oreillons, les pattes ; on croirait l’intermédiaire entre la poule et le dindon ; c’est le géant de l’espèce galline » (Charles Voitellier).
L’objectif d’alors est de renouer avec le chapon, de renommée ancienne. Mais après deux lots, sur deux années, et l’évaluation défavorable des paramètres tels que le temps d’élevage, le sacrifice des femelles, le coût et la vente plutôt limitée aux moments festifs, la jeune association se dirige vers l’élevage de poulets. Débute en 2001, la constitution d’un premier troupeau avec 5 coqs et 40 poules issus de 7 familles-souches appartenant à 5 aviculteurs amateurs. L’objectif est de stabiliser les caractères phénotypiques, le poids des œufs et l’homogénéité des sujets. Ce travail de sélection s’avère toutefois insuffisant pour démarrer une production rationnelle et reconnue par la législation. Aussi une approche est-elle tentée auprès de la Sasso - Société Avicole de la Sarthe et du Sud Ouest, numéro 1 de la sélection de volailles fermières dont le poulet de Loué -, mais non conclue du fait que ce groupement opère en sélection croisée et non en race pure. En juin 2002, une collaboration s’établit avec le Centre de Sélection de la Volaille de Bresse situé à Béchane dans le département de l’Ain, sur lot de 40 poussins issus des 7 familles et répertoriés sous l’appellation « poulets de race Barbezieux ». Dans ce premier lot, les poules sont élevées en cage individuelle et inséminées artificiellement avec la semence prélevée sur les coqs. Cette manière de procéder, différente de l’accouplement classique - 1 coq pour 6 poules - assure une traçabilité complète à partir de l’origine de l’œuf. La filière se structure en 2003 avec la rédaction d’un cahier des charges, d’un plan d’élevage et de prophylaxie et l’établissement d’un cheptel de départ pour 2004. Entre-temps, une convention est passée avec la Chambre d’Agriculture de la Charente qui met à disposition une animatrice à raison d’une demi-journée par semaine. Un soutien financier du Conseil Général de la Charente, puis du Conseil Régional Poitou-Charentes est également acquis, pour supporter pour partie les coûts de la constitution du premier troupeau de base à partir de 50 coqs et de 230 poules puis ultérieurement un troupeau-relais de 60 coqs et de 200 poules, enfin la validation des certificats de conformité particulièrement onéreuse. Dès 2004, l’Aspoulba devient propriétaire de son troupeau. Le centre de Béchane applique un plan de sélection validé par le SYSAAF - le Syndicat des Sélectionneurs Avicoles et Aquacoles Français - dont la mission est double : assurer la mise en place informatisée des programmes d’amélioration génétique ; valider par des certificats de conformité les changements décidés par le propriétaire du troupeau, concernant des caractéristiques comme la longueur des tarses, le poids du poulet à la vente (1,350 kg), le bréchet et quelques éléments phénotypiques comme la crête, les oreillons, la plume (exclusion de la couleur faisan). Ainsi, en gardant la propriété de ses animaux et la maîtrise du programme de sélection, l’Aspoulba devient-elle sélectionneur de la race à part entière, le centre de Béchane n’étant qu’un prestataire de services. A titre d’exemple, ce centre assurait au début les opérations d’accouvage et la livraison des poussins. Par la suite, en raison des distances, l’association eut recours à 3 couvoirs successifs pour optimiser la production des poussins et, surtout, la livraison.
Ces lots sont répartis, selon des plannings de mise en place, dans 8 poulaillers chez 5 éleveurs-producteurs, à raison de 2 lots annuels par poulailler. Le nombre de poulets par poulailler étant de 600, cela donne une production théorique annuelle maximum de 9 600 unités. Mais ce dernier chiffre doit être ramené à la baisse en raison de la production de 600 chapons à croissance plus lente. Les poussins sont démarrés dans des bâtiments de 60 m², dans lesquels ils séjournent pendant 49 jours - densité de 10 au m². Ils ont une alimentation « formule spéciale Aspoulba » qui, au début, est de nature essentiellement protéinique avec, entre autres, du soja garanti sans OGM, et 50 % de céréales pour atteindre 80 % par la suite. Dans ce laps de temps, ils sont l’objet d’un plan de prophylaxie « costaud » pour éviter tout traitement curatif fatal : vaccins anti-coccydiose, anti-bronchite infectieuse, Newcastle, Gumboro, plus du vermifuge, selon un calendrier très strict. Le contrôle vétérinaire est opéré par un vétérinaire agréé par la Direction des Services Vétérinaires. A partir de 50 jours, les poulets accèdent à un parcours herbeux, arboré, d’une surface de 24 ares (densité de 4 m² par animal). Le blé et le maïs proviennent d’un seul fournisseur qui dispose d’un moulin et de céréales récoltées sur le terroir. L’alimentation est distribuée à volonté. Elle s’enrichit en fin d’élevage, du 99ème jour au 120ème minimum, par des apports en aliment complet et en concentré protéique. Noter que la durée minimale de 120 jours, comparée aux 40 jours pour un poulet industriel standard et 81 jours pour un poulet label Rouge, est un facteur très important pour l’affinement des qualités organoleptiques de la chair : consistance, saveur, goût lesquelles s’affirment avec le facteur temps. L’abattage et le conditionnement ont lieu dans une petite entreprise du terroir à Brie-Sous-Barbezieux. Les éléments de la traçabilité y apparaissent : baguage à l’aile droite avec le numéro de l’éleveur, étiquette « Poulet de race Barbezieux race ancienne » apposée avec le numéro d’agrément de l’abattoir, le numéro du lot, le logo, l’identifiant « Signé Poitou-Charentes » et la référence téléphonique de l’Aspoulba. Les circuits de distribution passent prioritairement par la vente directe, les bouchers du département, les Grandes et Moyennes Surfaces de vente du département de la Charente (50 %), les restaurateurs et les marchés de pays.
Joseph Barraud,
Vice président Société des Aviculteurs des Deux-Sèvres
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