Le principe de précaution contre la biodiversité

PREMIERE VICTIME DU PRINCIPE DE PRECAUTION : LA BIODIVERSITE

Cet article est un simple témoignage pour que les générations futures puissent comprendre, dans 20 ans ou plus, pourquoi au début du 21ème siècle des centaines d'espèces et races rares ont disparu.
Le paradoxe est qu'elle n'auront pas disparu à cause de guerres, de maladies ou de crises économiques, elles auront disparu à cause d'un principe dit " de précaution " censé protéger l'environnement et la santé.
Professeur de Sciences et de Mathématiques, en retraite, j'ai passé une majeure partie de mon existence à rechercher et sauvegarder les derniers représentants de races françaises ancestrales d'animaux de basse-cour et plus particulièrement de volailles. Je suis l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur le sujet, afin d'aider et d'encourager les jeunes et moins jeunes à agir de même.
Il existe en France environ 25 000 particuliers dont le violon d'Ingres est la sauvegarde d'animaux domestiques ou non domestiques en voie de disparition. Un grand nombre est réuni au sein de la Société Centrale d'Aviculture de France et de la fédération ProNaturA France dont je suis membre du Conseil.
Certaines espèces non domestiques, en voie de disparition dans la nature, ont été sauvées uniquement grâce à l'élevage amateur. C'est le cas, par exemple de la bernache d'Hawaï ou de la sarcelle de Laysan.
Pour les races domestiques, au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, le leitmotiv productiviste, justifié à l'époque par la nécessité de nourrir une population en pleine expansion, fit que la production passa au stade industriel (" hors sol ") et ne se concentra que sur quelques souches d'hybrides les plus productifs. Les centaines de races qui faisaient alors toute la diversité de nos terroirs faillirent disparaître si elles n'avaient été sauvées par des particuliers désintéressés en tant qu'animaux domestiques, de compagnie ou d'ornement (c'est le cas de notre célèbre coq Gaulois) dans les basse-cours familiales.
Depuis le début des années 90, le monde politique et une très grande partie de l'opinion publique commencent à prendre conscience de la nécessité de sauvegarder la biodiversité, des espèces sauvages, ou des espèces domestiques. Un récent rapport de l'Organisation des Nation Unies pour l'alimentation et l'agriculture (F.A.O.) l'a rappelé :
" La sélection naturelle et humaine a donné des milliers de races génétiquement différentes d'animaux d'élevage, adaptées à une très grande diversité des milieux naturels. Le maintien de cette diversité permet en effet de sélectionner, en fonction des circonstances, des animaux capables de résister à diverses maladies, de s'adapter aux changements climatiques ou de répondre aux attentes des consommateurs ". " Faute de mesures adéquates, plus de 2200 races domestiques pourraient disparaître dans les 20 années à venir, soit plus d'un tiers des quelques 6400 races de mammifères et oiseaux d'élevage actuellement recensées dans le monde , ce qui engendrerait, notamment pour les pays en voie de développement des conséquences graves ".
La diversité de ces races représente un patrimoine historique et culturel vivant.
Elles auraient pu être, sans doute, à l'origine de la richesse de l'agriculture de demain, cette agriculture plus respectueuse de la nature, prônée par l'Europe. (Voir " Races d'hier pour l'agriculture de demain " d'Annick Audiot, INRA éditions).
Malheureusement, l'application du principe de précaution, poussée à l'extrême, risque d'y mettre fin.
Bien peu de médias ont mis en évidence les conséquences sur les animaux des mesures de " précaution " adoptées dans l'urgence par les Pouvoir publics pour prévenir une éventuelle pandémie d'influenza aviaire.

- le confinement a eu des effets dramatiques : plus d'un tiers des animaux, environ, sont morts au grand désespoir des éleveurs, qui y sont personnellement attachés. Pourquoi ? Parce que confinés sur une longue période, un très grand nombre d'animaux, habitués à des parcours extérieurs, s'agressent mutuellement, se piquent et se tuent. Le confinement long et généralisé a fait bien plus de morts que la grippe aviaire dans les élevages, ce qui, en outre, est incompatible avec les réglementations concernant la protection animale, et les engagements de la France vis à vis de l'Europe en ce domaine.
Des milliers de personnes, professionnels ou particuliers ont perdu leurs animaux qu'elles avaient fait naître et vu grandir et les lignées qu'elles avaient sélectionnées patiemment depuis des dizaines d'années. (Rq : un peu plus de 100 000 personnes ont une basse-cour familiale en France et plus de 8 millions de Français possèdent des oiseaux).
- l'interdiction généralisée sur une longue période des expositions, concours et rassemblements a été un autre coup dur pour la sauvegarde de la biodiversité.
En effet, pour éviter une trop forte consanguinité, les éleveurs ont besoin de s'échanger des animaux. Les échanges ou achats se font à 90% lors des expositions parce que l'éleveur y est sûr d'y trouver un animal doté de nombreuses qualités mises en évidences par les juges-experts. Sans exposition, plus d'échanges et risque très fort de disparition de ces races par excès de consanguinité.
Pourquoi la France a-t-elle interdit de manière longue et généralisée les rassemblements et expositions alors que, pendant ce temps, dans les principaux pays de l'Union européenne, les interdictions ont été limitées à des périodes courtes ou n'ont pas concerné toutes les espèces ? (Par exemple, les expositions de pigeons ont pu se dérouler normalement dans la quasi totalité des pays parce que cette espèce n'est quasiment pas réceptive à l'influenza aviaire).
J'y vois une réponse principale : à cause du principe de précaution, qui aujourd'hui, est placé dans la Constitution, au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, la responsabilité (civile ou pénale) de tout décideur public peut éventuellement être engagée, si quelques citoyens pensent qu'il n'a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir un éventuel danger.
Tout se passe exactement comme l'avaient annoncé et craint plusieurs membres de la commission Coppens, chargée de rédiger la Charte pour l'Environnement. Dommage que les amis de l'écologie strass et paillettes aient couvert leurs voix.
Le principe de précaution est sur le fond un principe de bon sens, notamment s'il se conjugue avec le principe de proportionnalité. Mais, placé dans la Constitution, il a une portée juridique contraignante très importante, semble-t-il sous estimée : il représente une épée de Damoclès permanente. Il peut devenir une arme redoutable contre les décideurs, qui peuvent être accusés, non seulement de ce qu'ils ont fait, mais aussi de ce qu'ils n'ont pas fait.
Du sommet à la base, chacun en rajoute une couche, pour ne surtout pas voir sa responsabilité engagée devant les tribunaux. C'est le règne de l'interdiction et de l'immobilisme.
(On a même vu un Préfet écrire qu'il était préférable d'abattre toutes les volailles du département, pour prévenir l'épidémie).
Je l'annonce clairement : si les mesures de précaution prises en 2005-2006 sont reconduites avec la même brutalité en 2006-2007, la majeure partie des races et espèces rares sauvées par les particuliers éleveurs, disparaîtront.
Et qu'on ne me dise pas les " petits intérêts des éleveurs doivent s'effacer devant l'intérêt général face à un risque aussi terrible pour l'Humanité", car nous ne sommes pas du tout dans ce débat là, et d'abord quelle est la réalité de ce risque ?
D'après le Dr Brugère-Picoux, vétérinaire spécialiste en maladies des volailles de Maison-Alfort (Grippe aviaire. Les bonnes questions. Les vraies réponses), l'influenza aviaire a été décrite en Italie dès 1878. Et comme l'ajoute sa collègue Barbara Dufour lors de son audition par une commission spéciale de l'Assemblée Nationale: "Le H5N1 constitue certes une menace, mais pas plus que les autres influenzas aviaires qui planent quotidiennement au dessus de nos têtes : la prochaine menace sera peut-être un H7, qui s'implantera brutalement chez nous. Cette remarque ne vise pas à vous inquiéter, mais au contraire à vous rassurer".
Autrement dit, le risque de mutation est permanent, depuis des dizaines d'années, et on ne pourra pas maintenir des mesures de confinement et d'interdiction de marchés, de rassemblements et d'expositions concours pendant plusieurs années. Rationnellement, cela ne servirait à rien, en plus d'être intenable du point de vue des libertés publiques.
Par ailleurs, il n'y a pas que le virus de l'influenza aviaire qui est potentiellement dangereux pour l'Humanité. N'importe quel virus de n'importe quelle maladie peut muter (y compris la grippe humaine simple) ou apparaître (SIDA) et devenir très dangereux pour l'Humanité.
Et pourtant, il existe un moyen raisonnable de se prémunir du risque H5N1 : c'est la vaccination préventive avec un vaccin inactivé H5N2.
Les parcs zoologiques l'ont obtenue. Les éleveurs amateurs s'indignent de la discrimination qu'ils subissent puisque eux aussi sauvegardent la biodiversité. Ils représentent autant de mini-zoos, dont l'action est complémentaire à ceux-ci. De plus, leurs animaux ne se retrouvent pas dans les circuits commerciaux de viandes, puisqu'ils ne sont pas élevés pour cela. Alors pourquoi leur interdire la vaccination ?
Parce que, d'après les Pouvoirs publics : " Si la France vaccinait, elle risquerait de perdre son statut de pays indemne et ne pourrait plus exporter, ce qui représenterait un manque à gagner important pour sa balance commerciale ".
Cela est illogique, puisque, je le répète, ces animaux n'entrent pas dans les circuits commerciaux.
Un autre argument de l'Administration consiste à dire que les animaux vaccinés excrètent le virus.
Cet argument est contesté par de nombreux scientifiques qui soulignent que si c'était le cas, les animaux des zoos ne devraient pas non plus être vaccinés. Et si cela était vrai, pourquoi les dirigeants des deux plus grands groupes français de producteurs de volailles, LDC et Poulets de Loué, prendraient-ils le risque de réclamer la vaccination préventive ?
Selon l'Office internationale des épizooties, les pays, qui vaccinent, risquent de donner l'impression de ne pas avoir de services vétérinaires suffisamment performants pour mettre fin à l'expansion de la maladie par abattage. C'est pourquoi, il est préconisé de ne pas vacciner.
Nous retombons dans le même travers que pour la fièvre aphteuse.
Le raisonnement qui consiste à dire : "il vaut mieux abattre des milliers d'animaux préventivement plutôt que de donner l'impression que nos services vétérinaires ne sont pas performants" est orgueilleux et particulièrement irrespectueux de la vie animale et des règles élémentaires de protection animale qu'elle se targue pourtant de vouloir faire respecter.
Ce raisonnement est vain et il est grand temps, au nom de la protection animale bien comprise, de l'abandonner. Cela nous évitera d'avoir à massacrer à nouveau des millions d'animaux lors de nouveaux épisodes de fièvre aphteuse ou influenza aviaire H5N2 qui reviendront peut-être un jour.
La politique de protection des animaux de l'Europe est pour le moins souvent incohérente : pour faire plaisir à des organisations de " libération des animaux ", elle prend, par exemple, des mesures futiles d'interdiction de " chirurgie esthétique " (taille sous anesthésie des oreilles des dobermans, etc., depuis d'ailleurs en voie de disparition), mais interdit la vaccination contre la fièvre aphteuse, ce qui a engendré les massacres de millions d'animaux que l'on sait. Et profondément choquer l'opinion publique.
Comment, après cela, s'étonner de la perte de confiance d'une majorité de citoyens à son égard ?
Les Hollandais, qui ont été obligés de massacrer " préventivement " en 2003, des millions de volailles, ne veulent surtout pas revivre ce cauchemar et ont décidé de vacciner les animaux vivant en plein air. Ils nous montrent la voix. Cette position est sage.
Partout en Europe, des tracts et des pétitions circulent pour que l'UE ait à cœur, au nom de la protection des animaux et de la biodiversité, de suivre cette voix.
En France, ce sont plus de deux millions de personnes, comptabilisées par la " Coordination oiseaux " qui souffrent directement des mesures de précaution excessives actuellement prises l'hiver .
Al'heure on partout on parle de sauvegarde de la biodiversité, il serait dommage de ne pas comprendre que des solutions souples et pragmatiques, pourraient permettre de concilier santé et sauvegarde de la biodiversité.

Jean-Claude PERIQUET

Lettre envoyée à l'AFSSA
Le principe de précaution et son application " perverse " à l'aviculture de sélection !
La Société des Aviculteurs des Deux-Sèvres et la ville de Niort (Deux-Sèvres), 5ème plateforme d'exposition française en aviculture de sélection, attendaient 3280 animaux de " race pure " pour l'exposition nationale avicole des 26 et 27 janvier 2008.
Les animaux, mis en exposition par 221 éleveurs de 38 départements de France, étaient destinés à l'expertise et aux échanges lesquels sont indispensables pour le brassage génétique des races avicoles (90% des échanges entre aviculteurs de sélection se font au cours d'expositions régionales et/ou nationales). Noter que le brassage génétique, en aviculture comme ailleurs, est la condition de la Vie, voire de la Survie présentement !
Le passage du niveau " risque influenza aviaire " de faible à modéré, à la suite de la découverte le 10 janvier 2008 de 3 cygnes, morts en Angleterre (région ouest du Dorset) et porteurs du virus H5N1…, a décapité l'exposition et entraîné son annulation à quelques 12 jours de l'ouverture…!
Le thème de cette exposition - inédit autant qu'original - une " Spéciale poules françaises de race ancienne ", était destiné à revaloriser 37 races anciennes Grandes Races du patrimoine national, lequel en compte 42 ! La réédition s'avère incertaine…
Le principe de précaution, appliqué de manière " générale " sur l'ensemble du territoire national, conduit à une contradiction flagrante et dommageable pour l'aviculture de race, aviculture qui est, à l'heure actuelle, le seul et véritable centre de ressources génétiques pour le présent, comme par le passé depuis deux siècles, mais surtout pour le futur (les scientifiques approuvent car ils en sont tout à fait conscients)
Or on ne peut que dresser des constats accablants :
- les échanges deviennent impossibles ;
- le nombre d'aviculteurs " amateurs éclairés " baisse de manière très sensible ;
- le confinement est un vrai calvaire pour beaucoup d'animaux ;
- la préservation des races se convertit en son contraire, à savoir l'extinction à terme, en raison d'une politique de " protection " qui, de surcroît, s'applique tel un couperet !
Que deviennent, dès lors, ces non moins autres nobles principes qui sont à la base du sommet de la Terre de Rio, de la signature par la France de la Convention sur la Diversité Biologique, des efforts du Bureau des Ressources Génétiques et de la Cryobanque nationale, de la notion même de Développement durable… avec ce principe de précaution - noble certes - mais qui s'avère, dans les faits, tout à fait destructeur voire " pervers ", en raison même de son application " généraliste ", somme toute peu responsable ?
J. Barraud
Vice président de la Société des Aviculteurs des Deux-Sèvres


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