L'élevage familial doit-il être exempt de tout devoir et de tout contrôle ?

par Mme BASTIDE

Il n'y a pas encore très longtemps, le simple fait d'évoquer la moindre réglementation et le moindre contrôle d'une quelque conque autorité sur les pratiques des éleveurs dits "amateurs", provoquait la plus grande incompréhension chez ces derniers, y compris et surtout chez les plus sérieux d'entre eux. Pourquoi réglementer quelque chose qu'ils faisaient déjà très bien, avec compétence, application et savoir-faire ? Pourquoi taxer un "hobby" qui souvent coûte plus d'argent qu'il n'en rapporte ? A l'indignation se mêlait une crainte non feinte de l'hyper réglementation, travers que notre société affectionne particulièrement, qui risquait finalement empêcher de pratiquer une activité d'élevage à laquelle ces éleveurs sont viscéralement attachés et de voir une partie d'eux-mêmes amputée.

1) Une définition de l'élevage familial
Avant d'aller plus loin, il est sans doute utile de donner une définition de l'élevage familial qui est venu petit à petit se substituer au terme d'élevage amateur et qui recouvre plusieurs réalités. La première est que ce type d'élevage se pratique à petite échelle puisque les animaux sont sensés vivre au sein de la famille, du foyer, c'est-à-dire dans la maison. La seconde, qui est induite et non explicite, c'est que l'éleveur familial, " ex-amateur ", ne vit pas de son élevage. La plupart des éleveurs familiaux affirmant élever par passion, la rentabilité est un facteur rarement pris en compte et n'est en tout cas pas une motivation suffisante pour justifier un engagement dans l'élevage avec tout ce que cela suppose de contraintes. Il convient cependant de faire la distinction entre les éleveurs familiaux qui rentrent dans le cadre de la cynophilie et ceux qui sont en dehors. Tout le monde connaît, en effet, le nombre effarant de chiots non LOF nés chaque année en France et dont une bonne partie est produite par des " amateurs " sur lesquels on n'a aucune information, tant sur leurs compétences que leurs motivations et sur lesquels les plus grands doutes peuvent planer. C'est pourquoi, dans cette communication, nous ne ferons rentrer dans la définition de l'élevage familial que les éleveurs inscrivant tous leurs chiots au livre des origines et qui, de facto, se placent dans un cadre, sinon de sélection, du moins de contrôle habituel de la SCC.

2) Quand la réglementation fiscale permet de parler d'autre chose.
Lorsque les premières rumeurs insistantes de réglementation ont commencé à circuler, la première - et la plus importante ?? - a porté sur la déclaration fiscale de l'élevage familial. L'incompréhension et les cafouillages qui s'en sont suivis étaient symptomatiques de la vision que les éleveurs familiaux avaient de leur élevage, qui ne comprenaient pas pourquoi l'état s'intéressait à leur activité, très souvent déficitaire, et qu'ils considéraient de l'ordre de la sphère privée et loin de toute activité professionnelle. Ce point aurait du être un des plus simples à aborder puisque chacun, quelle que soit son activité est sensé déclarer ses revenus. Mais la méconnaissance des obligations fiscales liées à l'élevage, le rattachement à un statut agricole souvent mal adapté aux micro-structures de l'élevage familial, le manque de clarté dans les informations dispensées par les autorités - encore aujourd'hui puisque certains petits éleveurs se voient " envoyer bouler " par leur inspecteur des impôts eut égard à leur chiffre d'affaire ridicule - et le mouvement de recul naturel de certains devant la " paperasse " ont brouillé les pistes.
Un vrai statut
D'un autre côté, l'absence de déclaration fiscale des " familiaux " a focalisé l'ire des éleveurs professionnels, c'est-à-dire de ceux qui, tout en travaillant dans le cadre de la cynophilie, doivent tirer des revenus de leur activité, en respectant leurs chiens et en payant moult charges. L'expérience concluante des premiers " familiaux " déclarés et diverses campagnes d'information, émanant principalement des syndicats professionnels, ont permis peu à peu de clarifier les choses et d'amener les éleveurs familiaux dans la légalité. L'un des principaux avantages de cette mise à plat fiscale est d'avoir sorti les éleveurs familiaux de leur statut de quasi clandestin, leur permettant de rejoindre la table de négociations en parité avec les éleveurs de " première activité " dans les différentes réunions préparatoires au décret relatif à la protection des animaux de compagnie lors de leur vente et des activités les concernant. Il est cependant un point sur lequel les éleveurs familiaux doivent rester vigilants. La rentabilité de leur élevage étant rarement une priorité, ils se retrouvent souvent en déficit chronique, ce qui à terme pourrait déranger l'administration fiscale tandis qu'une " obligation " de résultat positif venant contrecarrer des pratiques d'élevage de qualité serait très mal vécue par la plupart d'entre eux. Peut-être serait utile qu'un statut fiscal adapté prenne en compte cette spécificité?

2) Savoir-faire, responsabilité…
Le volet fiscal de l'élevage familial évacué, le champ libre est laissé au vrai sujet de fond de la réglementation qui est la prise en compte des spécificités de l'élevage familial comme pratiques valables. De la même manière que la fiscalisation de leur activité a été vécue dans un premier temps par beaucoup de familiaux comme une intrusion dans leur vie privée, les réglementations et éventuels contrôles de leur élevage, qui rappelons-le se fait dans leur domicile, ont été très mal appréhendés. Il faut dire que les exigences de la précédente réglementation - arrêté du 30 juin 1992- étaient tellement éloignées des réalités de l'élevage familial qu'elles étaient tout bonnement inapplicables et que la majorité des familiaux ne se sentait même pas concernée par elles. L'annonce d'une autre réglementation, vue comme menaçante, a donc été rejetée en bloc avant même que l'on connaisse son contenu. Or, quel est le but de la nouvelle réglementation ? Apporter une garantie quant aux bonnes conditions d'élevage. C'est le bien-être des animaux, chiens, chats et autres qui est visé, et uniquement lui, à tel point que le libellé du décret à paraître a été modifié : de " décret relatif à la vente et aux activités liées aux animaux de compagnie ",, il est devenu " décret relatif à la protection des animaux de compagnie lors de leur vente et des activités les concernant ".

Un texte qui correspond aux réalités de l'élevage familial
Ce décret comporte un volet tout à fait original qui est la reconnaissance dans les textes de l'élevage familial car personne n'a remis en cause le principe de ce type d'élevage dont la qualité supposée de la socialisation des animaux est des principaux atouts. Il a plus particulièrement été rédigé en collaboration avec les éleveurs et les fédérations en charge des livres d'origines canin ( SCC ) et félin (LOOF) en se basant sur les points forts de l'élevage familial et notamment le petit effectif. Le seuil maximal d'effectif pour bénéficier du label d'élevage familial a été fixé à 5 chiens reproducteurs et deux portées par ans, sauf pour les races de petite taille où le seuil, comparable à celui accordé aux chats, est de 9 reproducteurs et 4 portées par an. Voilà un point difficilement contestable car quel éleveur familial sérieux peut-il accueillir davantage d'animaux chez lui, dans de bonnes conditions et sans installations réellement spécifiques ? Même remarque pour la maternité et l'infirmerie. Le nouveau texte, allégé par rapport au décret de 92, demande simplement qu'une chienne prête à mettre bas dispose d'un lieu tranquille pour le faire et qu'un animal malade soit isolé des autres. Toutes choses que font déjà, et depuis longtemps, les bons éleveurs, familiaux ou pas. Quant à ceux qui se chagrinent sur le fait que la pièce allouée à l'élevage des chiots ou des chatons doit avoir une superficie minimum de 9 m2, on peut se poser de réelles questions sur leur manière d'élever dans la mesure où ce chiffre de 9m2 a été choisi car c'est la surface minimum requise par les normes du bâtiment pour une qu'une pièce soit qualifiée de…chambre ! On peut multiplier les exemples d'adaptation de ce texte à l'élevage familial comme la différence faite entre les reproducteurs et les animaux stérilisés, les familiaux ayant plus tendance que les professionnels à garder leurs vieux chiens, et même si la stérilisation est une pratique plus courante chez le chat que chez le chien. Ou encore les conseils sur le choix de matériaux aisément lavables ( peintures lessivables, carrelage, linoléum…). Est-il possible d'élever une portée, même de chihuahuas, sur de la moquette ? De même, plus que le nombre de chiots ou de chatons, c'est le nombre de portées qui est important : qu'il y ait un chiot ou cinq dans une portée, le temps d'élevage et l'attention requise sont identiques. Plus de quatre portées annuelles signifie plus d'une portée à la fois, avec les exigences et les risques que l'on devine.

NB : les éleveurs félins, que je connais mieux que les éleveurs canins pour en faire moi-même partie, n'ont pas attendu un texte de loi pour fixer eux-même un seuil de population à ne pas dépasser qui est relativement bas. Les pathologies virales propres à l'espèce féline ainsi que des cohabitations pas toujours faciles entre les individus en sont la cause. Cependant, un certain nombres de reproducteurs étant indispensable pour mener une politique de sélection valable, les éleveurs pratiquent depuis longtemps un élevage " en réseau ", s'échangeant leurs chatons ou les plaçant chez des particuliers en échange d'un choix de portée. Cette pratique très ancienne n'a pas pour but de dévier la loi et de passer en dessous du seuil des 9 reproducteurs, mais répond à la double exigence : confort des chats et de leur maître vs richesse du potentiel génétique.

3) et … liberté.
Dans le projet de décret qui nous intéresse, la reconnaissance de l'élevage familial et les aménagements qui lui sont accordés sont subordonnés à deux conditions. La première, qui réjouit tous les éleveurs sélectionneurs, c'est l'inscription de tous les chiots ou chatons à un livre d'origine. Même si l'objectif de tous les éleveurs n'est pas de faire naître des champions de beauté ou de travail, il est, ou devrait être, au minimum de donner le jour à des animaux qui correspondant à des critères morphologiques, sanitaires et comportementaux acceptables. Ce qui suppose une indispensable traçabilité dont le pedigree est la preuve. La deuxième condition est de laisser accéder les services de contrôle aux locaux ou pièces dévolus à l'élevage. Ce dernier point n'a pas soulevé de réactions négatives de la part des éleveurs familiaux qui partent du principe qu'ils n'ont rien à cacher, et qu'ils sont même fiers de montrer leur savoir -faire. Une manière " interne " de faire le ménage chez soi et de dégager le bon grain de l'ivraie.

Des contrôles, oui mais.
La manière dont ces contrôles seront faits est toutefois à surveiller car ils demandent un cadre précis et surtout des personnes qualifiées pour le faire. On souhaitera ainsi des " inspecteurs ", bien formés et disposant d'outils d'évaluations adaptés. Aux Etats-Unis, où la législation sur l'élevage du chien et du chat est encore rare, et cela paradoxalement dans un pays où certains états ont des positions très anthropomorphiques à propos des animaux de compagnie, la TICA, grande fédération féline, propose un programme d'auto-évalation des chatteries. Basé sur le volontariat, ce programme est réalisé avec l'aide du vétérinaire de l'éleveur qui n'a qu'à cocher les croix d'un questionnaire simple et complet dans lequel l'accent est mis sur le bon état général des chats, leur comportement, la propreté des litières, la qualité de la nourriture distribuée, l'isolement des jeunes, des mâles et des femelles gestantes etc… La réussite à ce test permet à l'éleveur de bénéficier d'un label de qualité.
Ceci nous amène à évoquer le bon sens, qui s'il est parfois la chose du monde la moins bien partagée est aussi celle qui est souvent la plus utile. Rien ne serait pire que le harcèlement d'éleveurs par des contrôleurs tatillons. On sait déjà que selon les DVS, les contrôles sont de véritables moments de dialogue entre l'éleveur et le vétérinaire ou une pénible inquisition.

C'est bien connu, trop de loi tue la loi. La réglementation de l'élevage, si elle est nécessaire ne doit pas paralyser ses acteurs, et cela est valable aussi bien pour les éleveurs familiaux que pour les autres. Obliger quelqu'un à transformer sa voiture pour emmener un ou deux chiens en exposition ou assimiler cette dernière à un acte purement commercial de promotion de l'élevage est dangereux car réducteur. L'évolution de l'élevage doit aller vers la promotion du chien et du chat de race et les actes qui y sont liées doivent être encouragés.

Conclusion :
A force de dialogue, et en laissant du temps au temps pour que chacun des interlocuteurs puisse appréhender la position de l'autre, une nouvelle législation est née.
Au contraire de ce qui était redouté par les éleveurs familiaux, cette législation ne met pas en danger leurs pratiques mais leur donne un statut et une légitimité inconnue auparavant. Elle a aussi permit de lancer une passerelle entre les éleveurs " qui ne vivent pas de leur élevage " et ceux qui en vivent. Il n'est plus le temps de caricature : gentils amateurs, méchants professionnels. La distinction entre bon et mauvais éleveurs ne dépend pas du statut mais de la manière de faire, des objectifs et de sa conscience personnelle. Il y a de la place pour tout le monde et ces rencontres entre ceux qui ne se rencontraient jamais auparavant montrent que le seul paramètre qui compte vraiment, c'est l'amour du beau et bon chien

Article issu du séminaire de la Société Française de Cynotechnie.
Vous pouvez consulter les actes de ce séminaire sur le site http://www.sfcyno.org

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