Les éleveurs professionnels sont-ils tous des "marchands de chiens" ?
Longtemps devant ma feuille blanche j'ai réfléchi au moyen d'aborder ce sujet.

Alors j'ai commencé par lire mon dictionnaire. Et j'ai souri ! J'ai souri parce que dans mon dictionnaire, il y a écrit que l'opposé de professionnel, c'est amateur. Décidemment, les idées préconçues sont difficiles à supprimer ! Même le dictionnaire s'en mêle. Mais il y a aussi écrit que professionnel, c'est être une personne de métier, un spécialiste et amateur, une personne qui aime, qui cultive un art pour son seul plaisir, un sportif qui pratique sans recevoir de rémunérations… Et puis il y a aussi le mot marchand, qui représente quelqu'un qui fait profession de vendre, qui achète et qui revend.

Alors moi j'aimerai que l'on m'explique comment est ce que l'on peut être un professionnel du chien sans aimer ce que l'on fait et comment on peut dire aimer, sans être un spécialiste ? Et pourtant, nous savons tous que nous avons des brebis galeuses dans les deux camps. Et d'ailleurs, pourquoi parlerai-je de camp ? Sommes nous en guerre, les uns contre les autres, ou sommes nous enfin capables de trouver un sujet qui nous rapproche, un terrain de discussion. Il est certes plus difficile de rapprocher les gens que d'essayer de les opposer, mais on peut toujours essayer.

Je vous pose la question. Pourquoi dois-je avoir honte de vendre mes chiots pour vivre ? Est-ce que je dois être qualifiée de " marchande de chiens " ? Le boulanger a-t-il honte de vendre son pain à un Rmiste ? Je suis tout à fait capable de comprendre qu'une personne fasse une portée pour garder un descendant d'une super chienne d'expo ou d'un étalon pour lequel on fait des kilomètres pour glaner titre après titre. Mais lorsque cela se transforme en argent facile pour se payer ses vacances d'été ou ses cadeaux de Noël, comprenez que cela énerve un peu… Mais aussi, entendre dire que l'on ne tire aucun revenu de son élevage ou que l'on est déficitaire parce que l'on va s'éclater dans sa passion le week end, n'est ce pas pousser le bouchon, parfois, un peu trop loin ? Imaginez que je sois une excellente pâtissière. Faire des gâteaux c'est mon truc à moi, mon petit plaisir du week end. Vais-je pouvoir les vendre sans que l'on ne me dise rien ? Et vais-je me dire meilleure que le pâtissier de mon village ? Parce que les idées reçues en cynophilie, c'est cela aussi : il y a les " amateurs de l'élevage " qui sont les super cracks de la cynophilie et les " professionnels de l'élevage " qui sont les méchants parce qu'ils vendent leurs chiots pour faire vivre leur famille. Ceux qui pensent encore cela, s'ils n'ont pas envie d'essayer de modifier un peu leur opinion, d'aller voir un peu plus loin que le bout de leur nez, prenons la décision de considérer que, finalement, c'est leur problème. Ils vieilliront avec leurs idées archaïques. Point.
Prenons maintenant le temps de discuter avec la génération qui a envie de voir et savoir ce qui se passe chez l'autre.

Faire naître vingt, trente, cinquante ou cent chiots par an, ce n'est pas tant cela le plus important. Peu importe le nombre, on peut toujours faire des chiots de qualité. Encore faut-il s'en donner les moyens. Ce qui est primordial ce n'est pas combien mais comment vous le faites. Faire naître cent chiots avec dix lices, ce n'est pas comme les faire naître avec vingt… Il y a ceux qui font reproduire leurs chiennes à douze mois et ceux qui le font à deux ans, il y a ceux qui font reproduire une chienne de huit ou neuf années et ceux qui arrêtent à six ou sept, il y a ceux qui prennent leurs chiennes pour des utérus et il y a les autres… En France aujourd'hui 900 000 chiots sont cédés tous les ans, dont 650 000 sont issus d'une " nébuleuse ". Cela représente une activité économique importante, en dehors de tout contrôle, de toute réglementation. En langage clair, cela s'appelle du travail dissimulé. En face, nous avons environ 700 jeunes qui sortent, par année, des écoles de formation espérant vivre un jour de leur passion. Que diriez-vous si votre fils ou votre fille choisissait une branche professionnelle où l'on est montré du doigt parce que l'on est professionnel ?

Un professionnel c'est celui qui passe ses journées entières avec ses chiens, 365 jours sur 365. C'est celui qui a fait de lourds investissements financiers pour que ses chiens aient les meilleures conditions de vie possibles, c'est celui qui a pris le parti de respecter ses animaux. C'est aussi celui qui a souvent fait l'impasse sur sa vie familiale : pas de 35 heures, pas de jour férié, pas de week end, pas de vacances. La passion n'est elle pas folie ? Connaissez vous beaucoup de gens assez fous de leur travail pour faire cela ? Je refuse d'entendre dire que parce que l'on produit plus, on produit mal. J'élève depuis 17 ans et depuis 17 ans je fais les contrôles de tares héréditaires recherchées dans ma race. Près de quarante chiens sont contrôlés tous les ans pour les tares oculaires, tous mes chiens passent au moins le Test d'Aptitude Naturel, certains sont recommandés, d'autres élites. Et actuellement je fais même quelques radios de hanches sur mes chiots de deux mois ! Pour voir… pour savoir. J'ai fait de nombreuses expositions canines et concours de travail, aujourd'hui j'estime avoir assez barreaudé à droite et à gauche. Mon mari est juge de la Société Centrale Canine. Je continue à me faire plaisir, à voir de beaux chiens, à découvrir d'autres races. Tout cela de l'autre côté de la barrière, sans faire la queue le matin…

Et pourtant, même si beaucoup d'éleveurs professionnels caracolent dans les grands prix… ce qui peut se faire lorsque l'on a trois ou quatre chiens, n'est pas forcément applicable lorsque l'on en a cinquante. Et là, je parle des expositions canines qui représentent un budget important. Est-ce parce que tous les chiens de l'élevage ne vont pas en exposition, qu'ils sont de mauvais chiens ?

Je peux aussi vous faire la liste de ce qu'un professionnel doit payer comme charges et vous serez peut être surpris d'apprendre que l'an dernier, mon élevage bien que déficitaire a eu à supporter la charge de près de 4 500 euros de cotisations sociales.
Mais, j'espère que vous serez surtout étonnés de savoir que mes chiennes partent en retraite, à six ans, stérilisées, et certaines après une carrière de … deux portées !

L'élevage de LA PASSE DE L'EIDER est né en 1986 avec ma première portée : cette portée était déclarée au fisc et dedans il y avait un champion ! Cette année là, j'étais juste un peu plus jeune qu'aujourd'hui, mais ce que je voulais par-dessus tout, c'était être "pro" et reconnue comme telle. Je me suis ensuite déclarée à la Direction des Services Vétérinaires de mon département, et j'ai pris contact avec la Mutualité Sociale Agricole. Et là, on a commencé à me parler de nombre d'heures. Je n'en faisais pas suffisamment : on m'a refusé. Il est incroyable de voir en France que lorsque l'on veut se mettre en conformité avec les administrations, on peut se heurter à des problèmes purement… administratifs. Ayant un peu compris le système, j'ai trouvé comment justifier des 1200 heures indispensables à mon affiliation. Elles allaient m'aider à aboutir à mon objectif de départ : être reconnue comme professionnelle. Très contente de moi, je commençai aussi un peu les expositions canines. Et alors là ! Surprise ! Première règle : ne pas dire que l'on est professionnel… c'est très mal vu. J'ai dès lors fait mon cheval de bataille de prouver que l'on pouvait être un bon éleveur et un bon professionnel.

C'est probablement pour cela aujourd'hui que je suis Présidente du Syndicat National des Professionnels du Chien et du Chat où j'ai adhéré il y a plus de quinze années. Je suis aussi adhérente du Retriever Club de France depuis plus de quinze ans ! Le syndicat que je représente de par ma fonction, regroupe plus de 500 professionnels, du jamais vu si l'on tient compte d'un paramètre qui n'est pas négligeable : la cotisation est de 95 euros. Nous regroupons des acteurs cynophiles et félinophiles qui n'ont pas toujours les mêmes opinions sur tout mais qui roulent sur la même route…

Pour moi, être professionnelle, c'est une qualité. Je revendique de l'avoir fait, j'en suis fière… fière d'avoir fait de ma passion, mon métier.

Le plaisir d'aller en exposition le week end, c'est se comporter en amateur. S'abstenir d'aller tenter de gagner le CACIB qui nous manque, même si l'on a réglé le montant de son engagement, parce que l'on soupçonne une toux de chenil, c'est se comporter en professionnel.
Garder le chiot dont on rêve qu'il va être un futur champion, c'est réagir en amateur. Prendre la décision de ne pas le faire parce que notre nombre de chiens sera trop élevé, en fonction de l'espace que l'on peut leur fournir, c'est réagir en professionnel.

Pour moi, être ELEVEUR est indissociable d'être PROFESSIONNEL. Et être PROFESSIONNEL est indissociable d'être AMATEUR.

C'est avant tout, ne jamais oublier que notre rôle consiste à faire vivre nos chiens dans les meilleures conditions sanitaires possibles, en respectant leur état physiologique.
C'est ne pas confondre élevage et collection de chiens, en sachant réguler le nombre d'adultes que nous pouvons décemment accueillir.
C'est donner la vie : faire naître des chiots sains, les faire grandir en respectant leur identité, en modelant leur caractère.
C'est trouver des familles d'accueil en prenant le temps de leur expliquer qu'ils viennent de prendre un engagement de plusieurs années et que nous serons là pour les aider.
C'est une passion, c'est un art, c'est un métier qui n'est pas à la portée du premier venu.

Alors, finalement qui est le marchand de chiens dans cette histoire ?

Pour moi, être marchand de chiens, c'est ne pas faire tout ce que j'ai cité précédemment…

Anne Marie LE ROUEIL
Elevage de LA PASSE DE L'EIDER
Présidente du S.N.P.C.C.

Article issu du séminaire de la Société Française de Cynotechnie.
Vous pouvez consulter les actes de ce séminaire sur le site http://www.sfcyno.org

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