La diversité génétique en danger
par Gérard Coquerelle, INRA

Les différentes sous espèces de coq rouge de la junqle Gallus gallus sont d'un aspect relativement homogène, mais celles de Cochinchine et d'Inde ont les oreillons blancs, alors que celles de Birmanie, de Java et du Tonkin possèdent les oreillons rouges. Les coqs de cette dernière sous espèce (Gallus gallus jabouillei) présentent un plumage plus rouge que celui des quatre autres, plutôt doré. Parfois des animaux à tarses verdâtres ont été décrits dans les populations sauvages généralement à tarses gris bleuté. Il y a donc des différences " naturelles " dans l'espèce sauvage vivant dans son habitat " naturel ".
La domestication de l'espèce s'est faite sans doute en plusieurs endroits étant donnée sa dispersion géographique. Il est probable que les races chinoises, à oreillons rouges, aient pour ancêtres des coqs birmans et tonkinois, alors que les races méditerranéennes soient issues du Gallus gallus murghi d'inde à oreillons blancs, via les civilisations de la vallée de l'indus, la Mésopotamie et la Perse.
La raison majeure de la domestication de la poule semble avoir été le caractère " naturellement " agressif et belliqueux du coq vis à vis de ses semblables durant la période de reproduction. Ni la masse corporelle du coq rouge de jungle, ni les quelques petits oeufs pondus par la poule sauvage ne semblent pouvoir justifier les contraintes liées à l'élevage en captivité d'animaux " naturellement " au moins aussi sauvages que les autres espèces de faisans. Dans la vallée de l'Indus, les sceaux et les poteries datant de 2500 ans avant JC attestent qu'à cette époque on pratiquait les combats de coqs.
La sélection sur la taille corporelle des animaux a été la conséquence la plus visible de la domestication de la poule. Il y a 4500 ans la longueur du fémur dans la vallée de l'indus était 103mm contre 115mm de moyenne pour nos races domestiques et 69mm pour les coqs de jungle actuels. Une autre conséquence a été le maintien de certaines mutations dominantes, apparues spontanément pas forcément favorables en milieu " naturel " et l'apparition de caractères récessifs qui pour se manifester nécessitent l'homozygotie. Cette homozygotie a été favorisée par l'élevage en vase clos d'animaux apparentés.
Certaines mutations sont bénéfiques et permettent à l'espèce de s'adapter à des milieux différents. C'est ce qui permet l'évolution naturelle intra espèce.
Chez la poule le caractère cou nu dépend d'une mutation " naturelle " dominante. Il n'est pas intéressant en climat froid car il augmente les pertes de chaleur donc les besoins énergétiques de l'animal et sa consommation alimentaire mais en climat chaud cela devient très avantageux : meilleure ponte, moins d'oeufs cassés, meilleure éclosion des oeufs, meilleure croissance des jeunes, meilleure résistance aux coups de chaleur, meilleur rendement à l'abattage, moins de gras sous cutané, poids de l'oeuf supérieur...
Inversement, la crête en pois et la huppe, qui elles aussi dépendent de mutations " naturelles " et dominantes en diminuant la taille des barbillons et de la crête, et donc des pertes de chaleur, ont sans doute une valeur sélective en climat froid. Une population primaire de poules islandaises dont les ancêtres fondateurs ont été amenés par les vikings norvégiens à la fin du IXème siècle présente une proportion élevée d'animaux huppés.
D'autres mutations présentes " naturellement " chez l'animal correspondent à des maladies héréditaires humaines et peuvent constituer des outils de recherche médicale.
Le nanisme utilisé en aviculture pour alléger les femelles " chair " et diminuer ainsi non seulement leur consommation alimentaire, mais aussi leurs rejets, est dû à une mutation du même gène que le nanisme humain de type Laron. Le gène récessif responsable de l'épilepsie chez la poule s'est révélé être lui aussi un modèle intéressant pour l'étude de l'épilepsie héréditaire humaine !
Enfin certaines mutations spécifiques de telle ou telle race peuvent être des outils au service de la traçabilité des produits, notamment pour les produits de découpe.
Ces animaux porteurs de caractères nouveaux, différents des autres, moins sauvages, d'un élevage plus facile ou plus lucratif, pour des motifs parfois religieux ou encore parce qu'ils étaient rares ou beaux, ont été conservés par les éleveurs qui les ont fait se reproduire. Ainsi au cours des siècles ces éleveurs ont façonné l'espèce domestiquée en conservant et en organisant la diversité génétique visible. Cela a abouti à la création des standards des races à partir de la moitié du XIXème siècle. Ces races dans leur diversité sont des créations humaines et font partie du patrimoine que nous ont légué les générations passées. Nous devons le transmettre aux générations futures.
Ce que je viens d'illustrer rapidement pour l'espèce poule est également vrai pour d'autres espèces domestiques. Certaines d'ailleurs n'existent plus qu'à l'état domestique, l'espèce sauvage ayant disparu (Aurochs).
Maintenant passons du coq... aux ânes.
Au hasard des pages du numéro 2 de la Revue Avicole, je lis page 45 " des coqs antitalibans " puis page 47 " l'écologie extrême a gagné " cela m'inquiète car je pense que ces extrémistes qui veulent détruire les races soit disant " torturées " mais qui font partie du patrimoine vivant, ont beaucoup de points communs avec ces autres fanatiques qui ont fait sauter les Bouddha séculaires d'Afghanistan avant de s'en prendre aux tours de New York ! Sans doute les uns comme les autres se croient-ils investis d'une mission et n'en sont-ils que plus dangereux car de bonne foi dans leur intolérance. De quel droit se font-ils censeurs ? Pourquoi nos hommes politiques leur prêtent-ils une oreille attentive ici alors qu'ils les combattent ailleurs ??
Faudra t-il supprimer les races bovines culardes à cause des difficultés de vêlage ? Faudra t-il supprimer les races canines à pattes courtes à cause des problèmes de colonne vertébrale ? Faudra t-il supprimer les lapins nains à oreilles courtes et les poules à pattes courtes parce qu'ils sont porteurs d'un gène létal à l'état homozygote ? Les éleveurs savent bien, EUX, qu'on peut avoir des poules à pattes courtes sans mortalité embryonnaire anormale : si un des deux parents possède des pattes de taille " normale " et l'autre des pattes courtes, les oeufs écloront " normalement " et la moitié des poussins sera à pattes courtes, l'autre moitié à pattes de longueur " normale " tous viables !
Sur quels critères objectifs, les extrémistes de la protection animale peuvent t-ils juger que les plumes aux pattes constituent une souffrance pour la poule quand la majorité des rapaces en est pourvue ? Que la huppe est source de souffrance pourtant la nature en a coiffé de nombreuses espèces d'oiseaux : huppe, grue couronnée, héron, aigrette... ? que le plumage soyeux est source de souffrance alors qu'il est présent chez les oiseaux ratites : Autruche, Emeu, Nandou, et que ce mutant existait déjà au XIIIème siècle en Chine (voyage de Marco Polo) ! Les pattes courtes sont elles sources de souffrance ? Dans la forêt tropicale cela pourrait peut être constituer un handicap pour trouver la nourriture, cela ne tient pas en élevage. Soyons sérieux !
Dans un passé pas très éloigné (même proche !) des hommes (hélas !) ont voulu purifier, normaliser l'espèce humaine et éliminer ce que EUX considéraient comme des tares. Cet eugénisme vite conduit à des génocides.
En ce début de XXIème siècle où les minorités de toute sorte revendiquent le droit à la différence, méfions-nous des " jusqu'au boutistes " de toute nature qui s'arrogent un droit de censeur au nom de leurs seules convictions et qui sous prétexte de protéger les animaux pourraient bien être les fossoyeurs de la diversité animale !
Conserver la diversité génétique, protéger ce que nous ont légué les éleveurs au cours des millénaires (il y a avait des poules domestiques en Chine 6000 ans avant J.C.) et transmettre ce patrimoine vivant aux générations futures c'est notre devoir !
  • Homozygotie : état d'un gène présent sous la même forme allélique sur les deux chromosomes formant une paire. Un gène à l'état homozygote est fixé.
  • Mutation : modification du code génétique qui lorsqu'elle se produit dans la lignée cellulaire germinale se traduit par le changement héréditaire d'un caractère.
  • Race : Subdivision d'une espèce dont les individus se ressemblent assez entre eux pour être distingués des autres individus de la même espèce. La description (ou le phénotype) de la race correspond à son standard. On emploie le terme " race " lorsque cette subdivision a été favorisée par l'action de l'homme. Par contre lorsque cette subdivision est le fait d'un isolement géographique naturel on emploie le terme de sous-espèce.



  • Haut de page
    Page d'accueil