La personnification de l'animal :
une tentation à repousser.
Par Anne-Marie Sohm-Bourgeois
Maître de conférences à la Faculté de droit de Clermont-Ferrand

L'animal a toujours exercé une étrange fascination sur les hommes qui, à certaines époques et en certaines civilisations, en ont même fait des dieux.

On pense, lorsqu'on évoque la zoolâtrie, peut-être plus souvent a des pays comme l'Egypte ou l'Assyrie, parce qu'ils nous ont laissé leurs plus belles oeuvres d'art pour en témoigner, mais il en est beaucoup qui l'ont pratiquée.

On oublie généralement que d'autres religions ont donné aussi une place importante aux animaux, grâce notamment au dogme de la métempsycose. Et Dieu, n'a t-il pas fait, après le déluge, alliance, non seulement avec les hommes, mais aussi avec eux.

La nécessité et la barbarie ont mis fin pour longtemps à ces conceptions, et ce n'est certainement pas à une époque plus proche de nous, Descartes dans son Discours de la Méthode, qui contribuera à modifier cette attitude. Sa théorie sur l'automatisme des bêtes a été sévèrement combattue par Condillac qui dans le Traité des animaux paru en 1755 a démontré qu'il faut, dans leur comportement, faire une grande place à l'acquis. Mais c'est essentiellement le romantisme qui va transformer les rapports entre les hommes et les animaux en véritables sentiments.

Tous les hommes, hélas, ne sont pas romantiques; et c'est sous des huées, en forme de cris d'animaux, que la loi Grammont a été votée au Parlement le 2 juillet 1850. Le général Deimas de Grammont avait cependant à l'époque bien appuyé sur l'intérêt économique qu'on pourrait tirer d'un meilleur traitement appliqué aux animaux. Ce faisant, il avait déjà senti que la protection de ces derniers passait par l'exploitation de l'égoïsme humain. C'est, en effet, surtout parce que les hommes ont conscience des services affectifs et matériels que les animaux leur rendent, qu'ils cherchent à les doter de certaines prérogatives.

Et comme il est plus facile de réclamer davantage de droits que de s'imposer des obligations, on va militer en faveur d'une déclaration des droits des animaux.

Le doyen Nerson écrivait cependant en 1963 que cela n'était guère réaliste. Quinze ans plus tard le mouvement anthropomorphique triomphait et, le 15 oct. 1978. était votée à UNESCO la déclaration des droits des animaux. Faut-il aujourd'hui aller plus loin encore et changer leur nature juridique en en faisant des sujets de droits, ou doit-on, au contraire, continuer à les considérer comme des objets, même si en tant qu'êtres vivants, une protection toute particulière doit leur être reconnue.

I - La tentation de la personnification de l'animal.

Des philosophes, et non des moindres, ont doté l'animal d'une âme et de nombreux auteurs leur reconnaissent une sensibilité réelle et même un certain psychisme. La tentation était donc grande d'abattre les barrières entre le monde animal et le monde humain. L'histoire des deux n'est-elle pas, de tout temps, étrangement liée? Et la personnification des animaux n'existe-t-elle pas depuis des siècles en littérature grâce à Esope, Phèdre, La Fontaine et bien d'autres.

Certains vont céder totalement à la tentation et vont souhaiter que l'animal devienne une personne juridique assimilable à l'homme, d'autres adopteront une position plus nuancée...

A. - L'excès dans la personnification de l'animal ou l'anthropomorphisme.

A de nombreuses époques de l'histoire, les animaux ont été dans certains domaines traités comme les hommes. Par exemple, au Moyen Age, lorsqu'ils commettaient des actes nuisibles, ils étaient cités en justice. C'est bien là le type même de l'excés dans l'identification de l'animal à l'homme, car rendre l'animal responsable pénalement, c'est le supposer conscient de la régie de droit. On pourrait croire que de telles pratiques n'ont eu lieu qu'à des moments de l'histoire, où la pensée juridique n'était pas encore trés affinée, mais elles se poursuivent en France jusqu'à la Révolution et on cite en Suisse l'exécution d'un chien complice d'un meurtre en 1906. Enfin, récemment, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que l'attitude de l'animal peut avoir une incidence sur la responsabilité pénale du prévenu coupable de contravention de mauvais traitements sur animaux.

Etre responsable, c'est être débiteur d'obligations, le corollaire inéluctable c'est d'être, à l'inverse, titulaire de droits. Or tel est bien la définition du sujet de droits. La plupart des auteurs classent ces derniers en deux catégories : les personnes physiques "êtres de chair et de sang" et les personnes morales, entités abstraites, créées par le droit pour répondre à des nécessités pratiques. Dans cette classification, l'animal ne pourrait être apparenté qu'à la première catégorie car il répond parfaitement à se définition.

Et si, comme l'a écrit Demogue, "le but du droit est la satisfaction, le plaisir, tout être vivant qui a des facultés émotionnelles, et lui seul, est apte à être sujet de droit ... l'animal même peut l'être".

Le législateur, prenant de plus en plus de dispositions tendant à améliorer le sort des animaux , ne serait-ce pas pour transformer leur nature juridique ? "Depuis la loi du 2 juillet 1850, dite loi Grammont, les efforts du législateur ont tendu vers une protection plus grande et plus efficace de l'animal devenu sujet de droit en 1976."

C'est grâce à ce raisonnement que le mouvement anthropomorphique va pouvoir revendiquer toujours plus de droits au profit des animaux.

"L'animal sujet de droit, réalité de demain.", "l'animal sujet de droit naissant" pourra-t-on alors écrire, en évoquant les Nations unies animales, association fonctionnant à Genève, ou en s'appuyant sur la déclaration universelle des droits des animaux de 1978.

Alors que certains auteurs ont contesté l'attribution de droits subjectifs au profit de l'homme pour ne lui accorder qu'une simple fonction dans la société, d'autres luttent pour que l'animal en soit doté.

Le paradoxe ne s'arrête pas là. Ayant succombé à la tentation de la personnification des animaux, on va essayer de leur octroyer un traitement comparable à celui des hommes. Cest ainsi qu'on procède de plus en plus à leur enterrement dans des cimetières qui leur sont en principe réservés , alors qu'assez singulièrement les hommes délaissent les leurs, pratiquent l'incinération et observent de moins en moins le culte des morts.

On va aussi accorder des dommages-intérêts pour le préjudice moral subi par le propriétaire d'un animal qui peut imputer sa mort volontaire ou non a un responsable, alors qu'à la même époque encore, et depuis tant d'années, toute indenmisation était refusée à celui qui, perdant un être cher, ne pouvait justifier d'un intérêt juridiquement protégé.

A l'heure où l'on discute tant du prix et des lenteurs de la justice en matière d'accidents d'automobiles, ou d'aucuns en ce domaine proposent sérieusement de ne pas tenir compte du préjudice moral, est-il moral ... de voir fleurir de telles actions ? Que ne dira-t-on pas aussi de certaines décisions rendues par nos juges du fond attribuant, à la suite d'un divorce, la garde de l'animal à l'un de ses maîtres, en appliquant les régles relatives à la garde d'un enfant. On jugera alors, non sans humour,qu'il est regrettable de saisir le juge aux affaires matrimoniales pour la garde d'un chien, et qu'il appartient à celui-ci de décider du choix de l'un de ses maîtres. Trés heureusement, la Cour de cassation a mis, peut-être pour un temps seulement, un frein à cette jurisprudence anthropomorphique et rappelle la traditionnelle nature juridique de l' animal en droit positif .

Au vu de ces excés, certains auteurs ont, en doctrine, adopté une attitude plus raisonnable mais, contrairement à la Cour de cassation, ont essayé de ne pas rejeter l'animal dans la catégorie des objets de droit.

B. - La position plus nuancée de la quasi-personnalité de l'animal.

0n a pu écrire, dès le début du siècle, qu'il serait souhaitable de promouvoir "un droit nouveau"... qui attribuerait aux animaux "une parcelle, un analogon de la personnalité humaine" et, beaucoup plus récemment, que "l'animal n'est certainement pas un véritable sujet de droit", mais que "l'embryon de sa personnalité réside dans l'idée de patrimoine" ou encore que "parce qu'il existe une protection particuliére des animaux, il est désormais impossible de continuer à affirmer qu'ils ne sont que des choses" et que "leur personnification en est à son début".

L'idée sous-jacente à ces différentes positions est la suivante : parce qu'il doit faire l'objet d'une protection, "l'octroi à l'animal de la personnalité juridique n'aboutirait alors qu'à la mise en place d'une technique juridique adaptée", ou encore parce qu'il est nécessaire d'attribuer à l'animal certains droits patrimoniaux, seule la personnalité qui leur serait octroyée leur permettrait d'en jouir véritablement. C'est parce qu'on protège désormais les animaux pour eux-mêmes, dans leur propre intérêt, indépendamment et même à l'encontre de celui de leur maître que se développerait la personnalité animale comme une "réalité technique".

La réalité de la personnalité animale serait comparable à la réalité technique des personnes morales. Comme l'entreprise, l'animal ayant un intérêt propre et des organes en mesure de le mettre en oeuvre, qu'il s'agisse du ministère public, de son maître ou des associations de protection animale, aurait vocation à la personnification.

Nul doute que la personnalité animale ainsi définie ne puisse être confondue avec la personnalité morale, entité abstraite permettant de recouvrir certains intérêts collectifs, car elle est "une technique juridique mise au service d'êtres corporels qui ne peuvent que souffrir". Elle serait une "protection individuelle des êtres non humains qui souffrent".

Cette personnalité entraînerait pour son titulaire des droits patrimoniaux limités à des aliments du vivant du maître, un peu plus étendus au décès de ce dernier, ainsi que certains droits extra-patrimoniaux dont l'essentiel serait un droit à ne pas subir de souffrances inutiles car elle ne peut même pas leur garantir un droit à la vie.

Bien plus, cette personnalité ne pourrait être octroyée au même degré à tous les animaux ; s'il en était autrement "les animaux préposés aux caresses ne pourraient pas être mieux protégés juridiquement que les animaux voués aux couteaux et aux fourchettes".

Il semble bien difficile d'admettre une personnification à effets ainsi limités, puisque, d'une part, elle ne s'appliquerait qu'à certains animaux à l'exclusion de beaucoup d'autres et puisque, d'autre part, les heureux bénéficiaires de cet avantage juridique n'auraient que des droits patrimoniaux et extra-patrimoniaux extrêmement sommaires. N'est-il donc pas plus raisonnable d'améliorer la condition des animaux sans en changer la nature juridique ?

II. - La raison : raccroissement des obligations de l'homme vis-à-vis de l'animal, objet vivant.

Faut-il, comme le soutiennent certains auteurs, et parce que, comme l'a écrit Engelhard, les animaux puisent leurs droits dans certains traits de ressemblance avec les hommes, "s'orienter dans le sens d'une redistribution des catégories et des régimes, voire dans celui d'un recul du prestige de la seule rationalité économique" ? Le droit positif ne nous y convie pas et les arguments de ceux qui veulent faire de l'animal une personne réelle ou technique ne semblent guère de nature à pouvoir le faire évoluer.

A. - L'inéluctable classification de l'animal parmi les objets de droit.

L'animal nous parait difficilement pouvoir être considéré différemment que comme objet de droit, d'abord parce que cela supposerait un complet bouleversement du droit positif en ce domaine, mais surtout parce que toute autre classification semble véritablement utopique.

1. - Le droit positif.

Le code civil qualifie l'animal de bien meuble par nature (art. 528) et l'ensemble des règles du droit civil et du droit rural ne laissent actuellement planer aucun doute sur la nature juridique de cet objet mobilier. Il est toutefois admis qu'il puisse devenir immeuble par destination (art. 522 c. civ.). Meuble ou immeuble, il peut faire l'objet d'un droit de propriété, comme d'un usufruit (art. 615 s. c. civ.), d'un contrat de location qui est parfois bail à cheptel (art. 1800 s. c. civ.), d'un contrat de prêt (art. 1894), de vente ou d'échange (art. 284 s. c. rur.).

Le droit ne qualifie pas différemment l'animal suivant qu'il est sauvage ou domestique. Simplement, dans le premier cas, il est res nullius et appartient au premier occupant à moins qu'on ne lui applique les dispositions de l'art. 564 c. civ. qui permet au propriétaire de retenir celui qui passe dans certains équipements tels que colombiers, garennes ou ecdos piscicoles. Dans le second cas, il appartient à celui qui l'a acquis par acte à titre onéreux ou à titre gratuit. Le législateur introduisait cependant une différence de traitement entre les deux catégories d'animaux. L'an. 453 c. pén., depuis la loi Grammont, prévoyait le délit d'acte de cruauté envers les seuls animaux domestiques, la loi du 19 nov. 1963 a modifié ce texte et étendu le délit aux actes de cruauté envers les animaux sauvages, apprivoisés ou tenus en captivité. Les art. 281 et 283-1 c. rur.. qui obligeaient à rechercher et constater toutes infractions commises sur les animaux domestiques, viennent d'être à leur tour modifiés dans le même sens par la loi du 22 juin 1989 et s'appliqueront également désormais aux animaux sauvages.

Celui qui est propriétaire de l'animal "ou celui qui s'en sert pendant qu'il est à son usage " est responsable du dommage causé par lui, soit qu'il fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé " (art. 1385 c. civ.).

Ce sont les pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui caractérisent cette responsabilité, juge la Cour de cassation de façon constante. Ce faisant, elle réaffirme la nature juridique de l'animal puisqu'on ne peut user que d'une chose.

Comme tout bien patrimonial, l'animal figure à l'actif du patrimoine de son propriétaire qui peut, non seulement le céder en respectant l'ensemble des régles spécifiques aux ventes d'animaux, mais aussi s'en servir comme instrument de crédit grâce notamment à l'utilisation de la technique du warrant.

Par voie de conséquence, l'animal ne peut être titulaire d'aucun droit. Il ne peut recevoir aucune libéralité puisqu'il n'existe pas en tant que personne juridique et il ne jouit en tant qu'être vivant d'aucun des droits de la personnalité ; s'il est tué dans un accident, son maître pourra recevoir une indemnisation correspondant à se valeur vénale, peut-être même pour son préjudice d'affection, mais l'animal m'a droit à rien, pas même à réparation de son pretium doloris.

Le droit positif ne présente donc aucune ambiguïté. Aucun texte ne contredit l'ensemble des régIes qui font expressément de tout animal un objet de droit. Faut-il de lege ferenda, modifier nos codes sur ce point et céder à la tentation de faire de l'animal, au moins ce sujet de droit naissant, au moins cette personne juridique technique que certains appellent de leurs voeux.

2. - La réfutation des thèses tentatrices.

"Il est possible de reconnaître une subjectivité juridique aux animaux, tout en limitant leur personnalité juridique et en ne leur accordant pas tous les privilèges conférés à l'être humain". En effet, "la réification de l'animal n'est plus tenable ... et sa personnification, envisagée sous un angle strictement technique. en est à son début".

Ne plus considérer l'animal comme une chose, commencer à l'envisager comme une personne même technique, voilà la tentation à laquelle il ne paraît pas possible de succomber. Il suffit pour cela de se poser les trois questions suivantes : quels animaux doivent changer de nature juridique ? comment ? et pourquoi ?

A la première de ces interrogations, personne ne peut donner une réponse très prècise. On invoque le plus souvent le caractère domestique de l'intéressé. Il serait donc loisible de tuer l'insecte importun, car il demeure objet, de même les animaux nécessaires à l'alimentation, mais il faudra alors repenser certaines classifications, ne serait-ce que celle du cheval. Bien des animaux considérés comme sauvages peuvent être apprivoisés. Comment opérer la discrimination ? Celle-ci ne pourra d'ailleurs qu'être valable en un moment et en un endroit donné car les animaux ont un traitement bien différent suivant notam-ment les habitudes alimentaires des peuples. On a lutté pendant des siècles pour faire admettre le principe d'égalité entre les hommes, faudra-t-il que de nouvelles revendications s'élèvent pour faire admettre le même principe dans le monde animal ? Or comment le propriétaire d'un animal auquel il est attaché supportera qu'il ne soit qu'une chose alors que d'autres seront dotés d'une certaine personnalité ?

Comment, en outre, en faire des personnes juridiques même à effets limités ? N'étant plus objets de droit, il faudra interdire toute transaction portant sur eux. Il paraîtra difficile notamment d'appliquer les règles relatives à la prophylaxie, de maintenir le droit de la chasse ; a-t-on seulement pensé aux conséquences économiques qu'entraînerait une telle mesure ? C'est le bouleversement complet d'attitudes millénaires vers lequel on risque de s'acheminer.

Cela au moins apporterait-il une véritable amélioration de la condition animale ? Le but recherché peut-il justifier les problèmes posés par la modification de nos traditionnels concepts juridiques ? On doit hélas répondre négativement. L'animal, devenu titulaire de droits, ne pourra jamais les exercer et, comme aujourd'hui, c'est son maître ou un organisme habilité qui les exercera pour lui. Or en l'état actuel de nos textes, il en est déjà ainsi. Tout propriétaire peut en effet déposer plainte contre l'auteur de souffrances inutiles opérées sur son animal et les exemples ne manquent pas en jurisprudence. Qu'il agisse en son nom personnel ou ès qualités de représentant de ce dernier n'entraînera pas de changement important quant aux conséquences. De la même façon, si c'est le maître qui est I auteur des mauvais traitements, les organismes créés pour la défense des animaux peuvent provoquer sa poursuite . Faire une donation avec charge au profit d'un animal est parfaitement possible en droit français (46>; cela permet de choisir le donataire et donc souvent le futur gardien, ce qui ne serait pas le cas si l'animal était directement bénéficiaire de la libéralité.

En définitive, chacun est parfaitement conscient de l'impérieuse nécessité de protéger l'animal être vivant, mais les moyens juridiques pour y parvenir séparent les auteurs. Les uns pensent qu'accorder une personnalité, même restreinte, aux animaux est nécessaire pour les faire bénéficier plus efficacement de droits, les autres pensent au contraire qu'il n'est pas indispensable de s'attaquer à leur nature juridique car cela entraînerait des problèmes inextricables et qu'il suffit tout simplement de renforcer les obligations qu'ont les hommes à leur égard.

B. - Le renforcement des obligations des hommes à l'égard des animaux.

Parce que les animaux sont des objets vivants, il faut leur accorder une protection toute particulière et un traitement privilégié. Trop longtemps les hommes les ont asservis à leurs intérêts égoïstes. L'animal, en effet, est sacrifié aux besoins vitaux de l'homme. L'alimentation mais aussi l'expérimentation scientifique sans laquelle aucun progrès médical n'est possible en sont la plus évidente manifestation. Au moins là, l'atteinte qui leur est faite peut être justifiée. Mais il est également utilisé pour le seul plaisir : le commerce de la fourrure ne s'est developpé que pour satisfaire la coquetterie humaine ; la chasse, telle qu'elle est pratiquée de nos jours, les courses de taureaux et les spectacles auxquels les animaux sont contraints de participer n'existent que pour la seule distraction des hommes.

Tout l'art du législateur doit tendre, en la matière, à réaliser un juste compromis entre les besoins légitimes de l'homme et la protection des animaux. Il faut tout d'abord réprimer avec la plus grande sévérité tout acte de cruauté purement gratuit ; ce faisant d'ailleurs, on rend également service aux hommes en leur évitant de se livrer à leurs mauvais penchants. Lorsque l'acte cruel est nécessaire (vivisection, élevage, abattage. prophylaxie), il faut utiliser les moyens les moins dommageables pour cet être vivant.

Il faut intensifier le contrôle sur tous les établissements qui utilisent de quelque manière que ce soit des animaux à des fins professionnelles.

Il faut développer le sens de la responsabilité de ceux qui décident de devenir le maître d'un animal et accroître les sanctions contre ceux qui, l'étant devenus, en font l'abandon sans raison. La loi de 1989 en rendant obligatoire le tatouage dès 1992 à l'occasion de toute mutation va permettre l'identification de tout animal et facilitera ainsi la preuve, donc la sanction, de tels abandons. Il faut en contrepartie garantir à l'homme une vie harmonieuse avec le compagnon de son choix. Tout est question de mesure.

Reste le difficile problème de l'utilisation des animaux pour le plaisir des hommes. Faut-il interdire l'abattage des animaux qui ne fournissent que leur fourrure, supprimer le chasse, le cirque...? Il semble utopique de penser que le législateur puisse sans risque, notamment économique, trouver une solution heureuse en ce domaine.

N'est-ce pas démontrer, du même coup, que l'animal reste au service des hommes, ce qui pousse certains, pour apaiser leur conscience, à préconiser un bouleversement des concepts juridiques. Mais cela ne modifiera pas le traitement qui leur est fait et naîtra alors l'insurmontable difficulté du choix de ceux qui pourront accéder à la personnalité. Il n'est, en effet, pas possible de permettre à tous d'en endosser "le vêtement" et qui pourra dire ceux qui seront dignes de le revétir ? Le critère avancé de l'animal domestique est un mauvais critère, il est variable dans le temps et dans l'espace. A certaines époques de notre histoire, le loup a été l'ami de l'homme, au moins dans son jeune âge : certains chiens aujourd'hui sont des bêtes féroces qui tuent, et le renard ne demande-t-il pas à être apprivoisé? L'un des mérites de la loi de 1989 est de le souligner en étendant la protection des animaux domestiques à certains animaux sauvages. Si on veut à tout prix accorder directement des préro-gatives aux animaux, il ne restera qu'à modifier notre conception du bénéficiaire de droits et à admettre, comme dans certaines législations, qu'il n'ait pas nécessairement la personnalité juridique.

En 1989 encore, le législateur ne succombe pas à la tentation : il va renforcer la protection des animaux mais les considère toujours comme des objets de droit vis-à-vis desquels les hommes auront désormais davantage d'obligations, car, ainsi qu'a pu l'écrire A. Kastler, "une société ne peut se dire ni civilisée, ni socialement évoluée si elle ne respecte pas les animaux et si elle ne prend pas leur souffrance en considération".



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