Page  mise à jour le 16 mars, 2010

Des rurauxphiles qu’on aime entendre

 

 

Gauche, Droite, Extrême Gauche Verte pour une fois tous d’accord : il faut sauver les paysans !

On est tellement habitué aux discours dominants rurauxphobes (les paysans sont des pollueurs, ils sont gavés de primes, ils coûtent trop chers), attisés par des associations de protection de la nature et des animaux de la mouvance « écologie fondamentaliste » que, lorsqu’en un mois, on lit trois excellents articles sur la situation réelle du Monde rural, on n’en croit pas ses yeux. C’est tellement rare que cela fait du bien et mérite d’être cité.

Si le journal «  Le Monde » dans lequel s’expriment longuement les Bougrain-Dubourg, Jeangène-Vilmer et j’en passe, est habituellement la voix du bobo-parisianisme exacerbé, il laisse parfois s’exprimer d’autres opinions.
C’est grâce à ce pluralisme qu’il conserve encore un certain intérêt.

Dans un article du 11-02-2010, Sylvie Brunel professeur des Université de Paris Sorbonne, prouve qu’on peut être directrice du Master professionnel « mondialisation et développement durable » et comprendre parfaitement les problèmes du monde rural.
Pendant des décennies, on a demandé aux paysans d’investir, de s’endetter et de produire toujours plus pour nourrir une population en pleine expansion. Objectif réussi.
En ont-ils été récompensé ? Non.
Ceux qui triment 7jours sur 7 sont à la merci de certaines grandes enseignes et, pour beaucoup, peinent de plus en plus à se dégager un SMIC.
ls ont tellement le sentiment d’avoir été grugés que la profession n’attire plus les jeunes.
Comment en serait-il autrement quand tel bureaucrate de l’Union Européenne leur a suggéré récemment de se doter d’un second métier pour survivre ?
Après son industrie, la France abandonnera-t-elle son agriculture ? La question se pose.
A l’heure de l’économie mondialisée ouverte, lorsque les cours sont fixés ailleurs, comment pourrait-on lutter avec des pays qui n’ont pas de protection sociale ou des pays où des agriculteurs cultivent seul 900 hectares, si la protection relative de la PAC disparaît ?
Car il ne faut pas oublier qu’en échange de la PAC, nulle autre profession n’a été plus soumise à pléthore de réglementations courtelinesques, délirantes et contradictoires.
Pourtant, comme le rappelle Denis Tillinac dans un article de Mariane de 13-02-2010  « Plaidoyer pour un monde qui disparaît », « si au Japon les Français passent pour des rigolos, seule notre agriculture échappe à leur sarcasme ; les Japonais envient sa puissance, estimant à juste titre que l’autosuffisance alimentaire est un atout géopolitique maître ».

Certains médias reprochent aux paysans de percevoir des subventions. Pourquoi ne disent-ils pas que sans elles, les prix des denrées alimentaires seraient souvent 5 à 6 fois plus élevés ! Est-il normal que le prix de vente soit inférieur au prix de revient ? D’ailleurs, les subventions, ils préféreraient s’en passer. Mais c’est impossible : « dans un contexte de marchés erratiques, où les Américains font la loi, et qui cumule les tares du libéralisme le plus anarchique et du protectionnisme le plus éhonté », précise Tillinac.
Que d’injustice, quand on sait , comme le note Sylvie Brunel que : « si l’espérance de vie des Français et leur taille se sont tant accrues en cinquante ans, ce n’est pas seulement grâce à l’hygiène et à la médecine : c’est d’abord par la qualité des produits alimentaires ».

En plus des problèmes économiques, les paysans subissent désormais le matraquage des discours rurauxphobes par les ayatollahs des associations et des partis politiques tendance véganisme et « deep ecology ». Après les engrais qui polluent, les vaches qui pètent, seraient responsables du réchauffement de la planète Rien que ça.
(Et pas du tout les usines asiatiques avec leurs cheminées à ciel ouvert ?)
Or, comme le relève Sylvie Brunel : « Sait-on que dans le calcul de l’empreinte écologique, un champ cultivé séquestre plus de CO2 qu’une forêt ? Et une prairie autant ? »
Lorsqu’on lit une fois cet argument sous la plume de Sylvie Brunel, on lit ou on entend 100 fois les arguments contraires du journaliste F .Nicolino qui dans « Bidoche » expose longuement les habituels arguments rurauxphobes, salissant même nommément les personnes et les associations qui ne lui plaisent pas.
Elle est loin l’égalité du temps de parole. Quant au pluralisme, qui devrait être la règle en démocratie, on peine à le chercher pendant longtemps.
On en découvre toutefois une petite parcelle dans le Canard Enchainé du17-02-2010, sous la plume de Jean-Luc Porquet. C’est étonnant quand on sait que cet auteur est plutôt, d’habitude, l’amplificateur des thèses « décroissantes »de la deep ecology, tant chérie par ceux qui ne manque de rien : les bobos parisiens.
En tout cas, il a compris les difficultés du monde rural et rédigé un très bon article.
Il met très bien en valeur l’un des problèmes cruciaux : « ces villages qui se vident à cause des exploitations devenues géantes et de la mécanisation ».
En effet, l’ultraproductivité de l’agriculture est trop synonyme de désertification des campagnes. Sommes-nous condamnés à vivre dans des villes surpeuplées et polluées, alors qu’une partie de la population désirerait une vie naturelle et harmonieuse à la campagne, mais ne le peut faute d’emplois ? Aujourd’hui, on n’entend plus parler d’aménagement du territoire. Une preuve de plus du mépris à l’égard des ruraux ?
Et de l’abandon des Hommes Politiques pour qui « ils ne pèsent plus assez en terme de voix » J-L Porquet indique que pourtant, il y a des agronomes, des scientifiques qui sont positifs et qui ont des propositions.
« Il est possible, dit l’agronome Marc Dufumier, de comprendre que la vocation agricole de la France ne consiste pas à faire du dumping à l’égal des paysans pauvres de la planète, mais grâce à sa grande diversité de terrains et à ses conditions qui permettent des produits de grande qualité, de bien nourrir les gens. »
Un discours sensé auquel nous adhérons.

Encore faut-il que le regard des urbains change sur leurs campagnes.
Rappelons que sans les paysans, tous les paysages différents qu’affectionnent les promeneurs du dimanche n’existeraient plus. Laisser la nature à elle même et vous n’y mettrez plus les pieds. Les ronces et les forêts recouvriront tout.
C’est pourquoi nous pensons comme Sylvie Brunel, et comme la majorité silencieuse des Français, qu’il est possible de concilier agriculture et développement durable, grâce à l’écologie humaniste. Est-il vraiment souhaitable d’être nourri demain uniquement par les Brésiliens et les Argentins ?

Et nous partageons sa conclusion « Nous devons abandonner notre vision fausse et passéiste d’une nature qui existerait indépendamment de l’homme et faire enfin confiance à ceux qui la connaissent, l’aménagement et en tirent le meilleur. Pour notre plus grand plaisir : les paysages. Notre santé : la nourriture. Mais aussi notre salut : un développement durable aussi soucieux de la planète que de ceux qui l’habitent passe d’abord et avant tout par le respect de nos paysans ».

S. EGLIN