Ottawa, le mercredi 3 octobre 2007





      Monsieur le Président de la République
      Palais de l'Elysée
      55, rue du faubourg Saint-Honoré
      75008 Paris
      France






      Monsieur le Président,






Dans une lettre datée du 25 avril 2007 adressée aux responsables de la Société Protectrice des Animaux (SPA) et de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW), MonsieurAlain Auvé, Conseiller Technique de Madame Nelly Olin, alors Ministre de l’Écologie et du Développement Durable, confirmait la volonté du Président de la République, Monsieur Jacques Chirac, d’interdire en France le commerce des produits issus des phoques chassés au Canada.

Le Président de la République, Monsieur Jacques Chirac, m’écrivait le 10 mai dernier pour me confirmer cette intention afin de « préserver l’espèce dans un contexte marqué par des modifications de l’habitat dues au réchauffement climatique ».

Or, il appert que, malgré de continuelles modifications apportées à la législation, au règlement canadien sur les mammifères marins, aux techniques d’abattage, malgré les rapports successifs du groupe d’experts sur la gestion des phoques ou de l’association canadienne des médecins vétérinaires, malgré les précautions prises par nos scientifiques et la mise en conformité de nos méthodes de chasse, malgré la transparence souhaitée par le Canada en permettant à des observateurs étrangers d’être présents sur notre territoire pendant la période de chasse, des organisations non gouvernementales manipulent l’information, l’image et l’émotion des citoyens et des parlementaires de tous les pays et en particulier d’Europe.

Tout d’abord, permettez-moi de dire que le Canada, signataire de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, ne fait peser aucune menace sur les populations de phoques. Le nombre de phoques du Groenland, l’espèce la plus chassée, a même triplé en trente ans pour atteindre quelques 5,5 millions de têtes aujourd’hui. La Commission Européenne a d’ailleurs reconnu la prudence de notre gestion en refusant, le 26 janvier dernier, de donner suite à la déclaration écrite du Parlement européen qui réclamait un boycott européen des produits canadiens du phoque.

Permettez-moi ensuite d’ajouter que j’ai sollicité une étude, par les services du Parlement canadien, portant sur l’influence des changements climatiques sur les populations de phoques au Canada. S’il s’avère que, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’Arctique est très vulnérable au changement climatique et subira des transformations physiques, écologiques et économiques majeures, il reste que « le changement climatique aura de nombreux effets positifs et négatifs sur l’écologie des phoques et l’effet net sur chaque espèce sera le résultat d’une pondération complexe des divers effets (1)».

Ainsi, sans vouloir minimiser l’importance de l’impact des perturbations climatiques sur la population de phoques, affirmer que l’espèce est menacée relève d’un raccourci qu’aucun scientifique ne prend aujourd’hui. Cela est sans compter sur le fait que toutes les espèces de phoques, dont les comportements alimentaires, migratoires ou de reproduction diffèrent, ne seront pas affectées de la même manière.

Je sais, Monsieur le Président, que vous êtes sensible au discours de raison, basé sur la science. Je salue, à ce titre, votre position exprimée dans votre lettre adressée à Madame Brigitte Bardot le 18 avril 2007 dans laquelle vous dites vouloir vous engager « à ce que la gestion des espèces soit désormais scientifique » ajoutant que « seul compte l’état de conservation des espèces ».

A ce sujet, le Canada définit ses quotas de chasse au phoque en fonction d’études scientifiques, gouvernementales et indépendantes, disponibles sur le site Internet du Ministère des Pêches et Océans Canada et consultables par le grand public au : http://www.dfo-mpo.gc.ca/seal-phoque/report-rapport_f.htm

Je ne peux que me féliciter également lorsque vous écrivez à Madame Bardot vouloir « cesser une idée fausse [...] qui consiste à opposer les chasseurs ou les pêcheurs aux protecteurs de la nature ». Qui peut croire, en effet, que ces Acadiens, ces Québécois ou ces Inuit qui vivent toute l’année au contact du milieu naturel, et dont dépendent leur culture, leur communauté et leur prospérité, ne soient pas des connaisseurs et des protecteurs de l’écosystème ?

Toutefois, je suis convaincue, Monsieur le Président, que ce discours de raison ne trouve aucun écho chez ceux qui discrédite l’image du Canada et que les media appellent non plus des écologistes mais des « animalistes » c’est-à-dire des fondamentalistes de la cause animale.

Aussi, j’aimerais, pour conclure, vous exprimer mes préoccupations.

Premièrement, je crois que les organisations animalistes manipulent les émotions dans un but lucratif. L’utilisation permanente de l’image du blanchon ou « bébé phoque », pourtant interdit de chasse depuis 1987, est une de leurs principales armes pour entretenir un apitoiement et une compassion artificiels. Ainsi, quand John Hoyt a pris la présidence en 1970 de la Humane Society of the United States (HSUS), l’une des plus influentes organisations animalistes, celle-ci comptait 30000 membres et un budget annuel d’environ 500000 dollars américains. A partir de 1994, le revenu annuel moyen de la HSUS s’est accru de 22 millions $ US. En 2003 ce chiffre est passé à 123 millions $ US. Quand la HSUS a fusionné en 2004 avec le Fonds pour les Animaux (Fund For Animals), le groupe a annoncé dégager 95 millions $ US uniquement pour son budget d’opération (2).

Deuxièmement, je crois que l’objectif de ces groupes dits de défense des animaux n’est pas la protection animale mais la volonté d’imposer à terme leur vision morale de la société qui passe inéluctablement par le végétarisme. Tous les sites Internet de ces organisations font la promotion du végétarisme à commencer par celui de Madame Bardot où l’on peut trouver une rubrique sur la cuisine végétarienne. Madame Bardot a, par ailleurs, annoncé sa dernière croisade : faire interdire la viande de cheval. J’ajouterais que ces organisations sont passées de la « protection des animaux » aux « droits des animaux ».

Le discours de la Humane Society of the United States et ses alliés propose donc une autre vision morale de l’Homme dont il convient de s’interroger sur ses caractères sectaire et religieux : « souligner qu’il existe un avantage économique ne constitue pas une justification morale suffisante [...] » écrivait le révérend Andrew Linzay au sujet de la chasse au phoque, dans un document publié en 2005 par la HSUS, « Public Moralityand the Canadian Seal Hunt ». Également PhD et membre de la faculté de Théologie à l’Université d’Oxford, le révérend ajoute : « il n’existe aucune justification morale pour la chasse aux phoques. »

Dans ce nouvel ordre moral, l’animal a des droits et étonnamment pas de devoirs car, comme le dit le révérend : « sur le plan moral, les animaux sont innocents ». Dans la vision des animalistes, la pureté de l’animal s’oppose à l’Homme, auteur du péché originel, corrupteur du Jardin d’Éden. Il n’est donc pas moralement acceptable que l’Homme puisse froidement enlever la vie pour subvenir à ses besoins. « Parler des phoques comme d’une ressource est sous-éthique » précise le révérend Linzay, ajoutant : « l’instrumentalisation des animaux prévaut toujours dans le monde d’aujourd’hui ».

Cette logique qui consiste à penser que l’animal est l’égal de l’homme et ne peut donc être « instrumentalisé », c’est-à-dire consommé, par lui aboutit à ce double concept défendu par les animalistes d’ « animal-humain » et d’ « animal-non-humain ». On comprend donc que Madame Ingrid Newkirk, Présidente fondatrice de People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) se soit exprimée ainsi : « six millions de Juifs ont été tués dans des camps de concentration, mais six milliards de poulets sont tués chaque année dans des abattoirs. (3)» Ainsi, après que Madame Bardot ait parlé de la chasse au phoque comme d’un « génocide animalier », nous ne sommes donc plus loin de voir se créer le « crime contre l’animalité ».

Enfin, troisièmement, ces groupes animalistes ne sont pas réputés pour leur ouverture d’esprit. Les menaces de poursuites que la HSUS a fait peser sur Radio-Canada et le réalisateur Raoul Jomphe, ce printemps dernier, pour empêcher la diffusion du documentaire « phoques, le film », qui ne les présentait pas favorablement, en dit long. En outre, une branche plus radicale sévit aux États-Unis et en Europe que l’on appelle des « écoterroristes » emmenés par le « Animal Liberation Front » (ALF) et le « Animal Right Militia ». La France a d’ailleurs eu à subir leurs agissements le 31 août dernier avec la contamination délibérée de produits Novartis.

À ma connaissance, ni la HSUS, ni Madame Bardot ni aucun groupe de défense des droits des animaux n’ont condamné ces actes. Pire : PETA avait déjà réagi de la manière suivante face aux actes de violence commis par le « Animal Liberation Front » : « Nous ne condamnons pas les membres de l’ALF… ils sont courageux, et risquent leur liberté et leur carrière pour tenter de mettre fin à la terreur que subissent, chaque jour, les animaux de laboratoire. Les activités de l’ALF font partie du mouvement de protection des animaux d’aujourd’hui. (4)»

Par conséquent, Monsieur le Président, vous constaterez que défendre la chasse au phoque ne revient pas seulement à défendre une chasse, une culture, un mode et un lieu de vie ou un moyen de subsistance pour des populations modestes. C’est aussi défendre la vérité contre la manipulation et la désinformation. C’est aussi défendre l’esprit de la démocratie et la liberté contre l’imposition d’un ordre moral. C’est aussi défendre le langage de la science contre l’extrémisme et l’anthropomorphisme.

A ce sujet, la rumeur veut que vous ayez rencontré Madame Brigitte Bardot récemment. Suite à cette rencontre, vous auriez pris l’engagement de bannir les produits dérivés du phoque en France d’ici la fin de l’année. Permettez-moi de douter de cette information tellement Madame Bardot, qui vient de temps à autre relancer sa notoriété sur la banquise canadienne, est contraire à l’archétype du scientifique, au discours basé sur la raison, que vous affectionnez tant. Un exemple : lors de sa conférence de presse à Ottawa l’année dernière, Madame Bardot s’est présentée aux journalistes devant une immense affiche montrant un morse – et non un phoque – un gourdin dans la gueule au pied d’un jeune enfant gisant dans son sang. Difficile de faire plus caricatural, plus anthropomorphique et plus grotesque. Je suis donc convaincue que vous conviendrez avec moi que la compétence scientifique de Madame Bardot sur le sujet est probablement aussi élevée que celle de Sir Paul McCartney ou de Pamela Anderson qui se sont également prononcés sur la question récemment. Je garde en mémoire ce que vous écriviez à Madame Bardot le 18 avril 2007, faisant référence à l’Observatoire de la faune sauvage : « s’il y a divergence de points de vue avec d’autres institutions, c’est aux experts de se mettre d’accord ».

Monsieur le Président, la chasse au phoque est une activité durable, pratiquée avec sensibilité pour l’espèce animale, sous contrôle de notre gouvernement et de nos scientifiques, par des Canadiens qui travaillent durement dans des conditions difficiles mais avec respect pour leur environnement.

Voilà le message que je souhaite transmettre à la France par votre entremise et que je me suis engagée à porter haut, dans et hors du Canada.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à ma plus haute considération.

L’honorable Céline Hervieux-Payette, c.p.
Leader de l’opposition au Sénat

(1) Kelly, Brendan P., « Climate change and ice breeding pinnipeds », in Walther, G.-R, Conradin A. Burga, and Peter J. Edwards (eds.), “Fingerprints” of Climate Change: Adapted Behaviour and Shifting Species Ranges, Kluwer Academic/Plenum Publishers, New York, 2001, pp. 43-55. Tynan et DeMaster (1997).

(2) D’après the Center for Consumer Freedom, http://www.activistcash.com/organization_overview.cfm?oid=136

(3) D’après « Droits des animaux : citations des leaders du mouvement », Conseil canadien de la fourrure, http://www.furcouncil.com/french/fr_industry/animalrights_fr.htm

(4) ibid



Page d'accueil