Parallèlement au déclin des grandes idéologies universalisantes, les questions éthiques relatives aux animaux et à leur nécessaire protection connaissent un regain d'intérêt, pour ne pas dire de passion, qui se concrétise par l'adoption de très nombreuses nouvelles réglementations nationales ou européennes.
La protection animale s'est imposée dans l'esprit du grand public occidental comme définition concrète du bien. Qui, dans ces conditions, pourrait être contre une protection toujours plus grande des animaux ? Et si la protection animale est identique à la protection sociale : pourquoi vouloir lui donner des limites ?
Pourtant l'amour des occidentaux pour leurs animaux ne va pas sans démesure et sans inconvénient. Dans de nombreux foyers, il sont des substituts de conjoints ou d'enfants et un récent sondage a montré que si les Français avaient à choisir entre leur conjoint et leur animal, c'est dans la majorité des cas l'animal qui aurait la préférence.
Aussi apparaît-il de plus en plus légitime de se demander quelle est la frontière entre amour des animaux et zoolâtrie et si l'animal ne pâtit pas plus de cette personnification involontaire qu'il n'en jouit ?
De même, si une réflexion conduisant à une protection juste et équilibrée des animaux était nécessaire, la radicalisation et les dérapages successifs de nombreux mouvements, notamment de libération des animaux en Grande Bretagne, vers des théories naturalistes ou anthropomorphistes sont devenus une lourde menace pour les éleveurs, pour les quelques 80.000 particuliers français qui ont pour violon d'Ingres la sauvegarde bénévole d'animaux domestiques ou non domestiques en voie de disparition par l'élevage ; et à moyen terme pour la société et les animaux eux-mêmes.
A tel point qu'est née en France en 2002 une fédération d'associations qui défend l'idée d'une protection animale non anthropomorphiste.
La fédération française des associations pour une protection non anthropomorphiste de la Nature et des Animaux, surnommée ProNaturA France, qu'il m'appartient aujourd'hui de représenter, rassemble déjà plus de 200.000 membres.
Sa contribution au débat de ce jour tient en deux points :
Premièrement : une protection animale raisonnable et raisonnée doit refuser l'anthropomorphisme.
Deuxièmement : il est nécessaire de rechercher un juste milieu et de restaurer les valeurs de l'humanisme.
I- Une protection animale raisonnable et raisonnée doit refuser l'anthropomorphisme.
1°) Définition
L'anthropomorphisme est dans une première acception, selon le dictionnaire : la tendance à attribuer aux êtres et aux choses des réactions humaines.
Et aujourd'hui dans une autre acception : tendance à voir en l'animal un être égal à l'être humain et à vouloir lui donner les mêmes droits.
2°) Les causes
On peut distinguer trois grandes causes :
a) En général, nous assistons à une perte de culture animalière : les gens ne savent plus ce que sont les animaux. Cela est dû au changement de mode de vie : nous sommes passés d'une société composée de 20 % de citadins et 80% de ruraux qui vivaient quotidiennement des animaux et avec les animaux, à une société composée de 20% de ruraux et 80% de citadins dont le seul contact avec les animaux se borne le plus souvent aux reportages télévisés présentant une nature douce et idéale.
b) La zoophilie ordinaire : nous vivons dans une époque " post-moderne " marquée par l'effacement des limites et des identités = confusion hommes/femmes, enfants/adultes, humains/animaux . De là découlent deux formes d'anthropomorphisme : un anthropomorphisme doux et lénifiant : par exemple les mariages de chiens au USA.
Et un anthropomorphisme furieux : traiter un animal comme un humain est une forme de maltraitance animale. Une émission de février 2002 de J. Luc Delarue l'a encore clairement souligné : conférer à un chien des prérogatives de chef de meute, (dormir dans le lit du maître, prendre son petit déjeuner avec lui sur la table ou au lit), au nom de l'amour des animaux, puis lui retirer ou adopter des attitudes incohérentes perturbe psychologiquement l'animal, le déstabilise, au final le rend malheureux et peut parfois conduire à des drames au sein de la famille ou vis à vis de tiers.
c) La zoophilie militante : en notre époque de déclin des grandes idéologies constitutives de nos valeurs , l'isolement social, la déception des hommes, voire la misanthropie caractérisée (plus je connais les Hommes et plus j'aime les animaux) expliquent que certains s'engagent passionnément dans la défense des animaux, parfois jusqu'à l'animalitarisme, comme d'autres, au demeurant de moins en moins nombreux, dans celle des travailleurs, des prisonniers politiques, des victimes du racisme ou de la faim dans le monde.
Elle se réclame ou s'inspire de théories :
- la " libération animale " est issue de la philosophie utilitariste de Bentham. Selon son " penseur " P. Singer, elle s'inscrirait dans le droit fil des mouvements d'émancipation des opprimés, en dehors de toute considération de sexe, d'âge, de race et d'espèces. (csq : lâchers de visons d'élevage ou pose de bombes au domicile des chercheurs en GB).
- La fédération anti-spéciste pose en principe l'égalité fondamentale de tous les animaux qui peuvent ressentir plaisir et douleur. Pour ce mouvement, il ne faut pas faire subir aux animaux des traitements que l'on refuse pour les Hommes. Ainsi au nom de l'anti-racisme, on combat l'idée même de races animales.
- Les mouvements oeuvrant pour la reconnaissance de l'animal " sujet de droit ".
Ils s'appuient sur la déclaration universelle des droits de l'animal adoptée en 1978.
Ils se heurtent à la majorité des juristes pour lesquels l'animal ne peut être sujet de droit car il n'est pas dans sa nature d'avoir des devoirs, une responsabilité et une conscience.
Si l'on va jusqu'au bout de la logique de ces trois mouvements, il apparaît clairement que l'Homme doit devenir végétarien car il ne saurait être question de porter atteinte à un être qui a le même droit à la vie que soi.
Disparaîtraient alors l'ensemble des animaux de ferme, devenus inutiles.
A la demande des citoyens favorables à une amélioration de la condition animale répond donc une offre : le végétarisme, qui ne convient pas à l'immense majorité d'entre eux.
Entre les deux extrêmes que représentent " l'animal-machine dénué de sensibilité " et " l'animal sujet de droit ", ne vaut-il pas mieux rechercher un juste milieu : l'animal est objet de devoirs pour l'Homme et ces devoirs doivent être définis selon une conception modérée, scientifique et non anthropomorphiste de la protection animale.
Faire confiance en l'Homme et à sa capacité à s'améliorer, principe premier de l'Humanisme moderne est la voie qu'a choisi la fédération ProNaturA France pour promouvoir une protection novatrice et efficace des animaux.
II- Rechercher un juste milieu, restaurer les valeurs de l'Humanisme et du lien social.
La philosophie de la fédération française des associations pour une Protection Non Anthropomorphiste de la Nature et des Animaux est notamment explicitée par une conclusion du professeur Bernard Denis, contenue à la page 69 du hors série n°2 de la Société d'ethnozootechnie intitulé " L'animal et l'éthique en élevage " dont voici un court extrait : " Entre ceux parmi les zootechniciens, qui continuent de défendre envers et contre tout l'élevage intensif et les extrémistes de la protection animale qui, sans se l'avouer, voudraient plus ou moins imposer une situation proche du végétarisme, il y a sans doute un juste milieu à trouver ".
1°) Un exemple : la convention du conseil de l'Europe sur la protection des animaux de compagnie du 13/11/1987.
Il ne suffit plus d'élever : encore faut-il pouvoir justifier pourquoi on pense que ses animaux sont bien entretenus.
Que ce soit en matière de remise en cause de la notion même de race chez les animaux ou en matière d'installations d'élevage, les éleveurs et les zootechniciens doivent réfléchir aux critiques qui leur sont adressées et développer leurs argumentations en faveur du bien-être animal.
a) Des " défauts génétiques " à l'interdiction des races " handicapées ".
Certains protecteurs extrémistes estiment sans nuance que certaines races d'animaux sont dotées de caractéristiques physiques qui les font souffrir et font de leur vie un véritable cauchemar.(Par exemple les animaux qui ont les poils longs, des pattes courtes, les yeux rouges, etc.). Et ils demandent leur interdiction.
En Allemagne, à cause du jeu électoral, la branche fondamentaliste de l'écologie a obtenu, en s'appuyant notamment sur l'article 5 de la convention du conseil de l'Europe sur la protection des animaux de compagnie (qui devrait bientôt être ratifiée par le Parlement français), le vote d'une loi qui demande à chaque Land et à l'Union européenne de publier des listes de races d'animaux dites " handicapées ou torturées " (traduction de Qual en français) à interdire. Cela rappelle de bien vilains souvenirs.
A cette date , les éleveurs se sont défendus (recours juridiques, etc.) et seul le land de Hesse a publié des listes (d'accouplements ou de gènes à interdire qui correspondent à une ou plusieurs races d'animaux). Mais rien n'empêche les autres Land et l'Union Européenne de le faire à tout moment.
En réalité, nos adversaires sont contre la notion même de races chez les animaux. En effet, tous les animaux de races sont issus d'une sélection et toute sélection est, d'après eux, condamnable.
Comme ils ne pouvaient pas revendiquer cela ouvertement, ils ont trouvé un moyen détourné qui est toujours le même : le prétexte de la souffrance animale.
Le problème est que si cela est appliqué, ce serait, par exemple dans le domaine des animaux de basse-cour, près de 70 % des anciennes races que nous avions sauvegardées qui disparaîtraient cette fois définitivement. Et cela serait une catastrophe pour la variabilité génétique, c'est à dire la biodiversité.
Cela nous amène à une première limite du raisonnement éthique : le raisonnement éthique ne peut servir à utiliser abusivement le concept de souffrance animale pour masquer un autre but auquel on veut véritablement aboutir.
La fédération ProNaturA France est née pour lutter contre cet extrémisme.
Un premier point est dégagé : nous n'accepterons pas qu'une race puisse être interdite.
En revanche, il ne faut pas nier que certains effets de mode peuvent conduire à faire reproduire certains individus trop typés. Et que pousser le type trop loin peut avoir chez certains sujets des effets néfastes sur la santé.
Le professeur Denis a évoqué certains chiens Sharpeï qui sont tellement plissés qu'ils ne peuvent même plus ouvrir les yeux.
En ce sens, ne pas faire reproduire les hypertypes rentre dans le sens d'une voie moyenne entre deux positions qui sont extrêmes : demander l'interdiction d'une race d'une part, nier le fait qu'un hypertype puisse connaître certains problèmes de santé d'autre part.
Et la recherche du juste milieu est précisément ce qui anime la fédération ProNaturA France.
Tout l'enjeu est de savoir qui doit définir un hypertype : certainement pas l'Etat, car sa définition évoluerait au gré des changements politiques.
Le Haut Conseil scientifique de ProNaturA France aura vocation à faire des propositions aux associations membres et aux commissions des standards pour aider à définir ce qu'est un hypertype et pour ne pas favoriser la multiplication des hypertypes.
En ce sens également, nous suivons pleinement une ligne de responsabilisation des possesseurs d'animaux.
b) Deuxième limite au raisonnement éthique : ne pas céder au misérabilisme.
La convention du conseil de l'Europe du 13/11/1987 place au même rang d'agression la section des cordes vocales et la coupe des oreilles et de la queue. Et les interdit.
Il est irrationnel d'affirmer que la coupe des oreilles si elle est pratiquée sous anesthésie par un vétérinaire fait souffrir. Ou sinon, il faut être cohérent et interdire toute opération faite sous anesthésie.
La coupe des oreilles a répondu autrefois à un besoin objectif : les chiens qui gardaient les troupeaux et étaient appelés à se battre (contre les loups, etc.) devaient ne pas avoir d'oreilles tombantes pour ne pas donner prise. Cela est devenu un fait culturel qui participe au processus de la domestication.
De plus, cette interdiction sera lourde de conséquences et pourrait entraîner la raréfaction voire la disparition de certaines races pour cause de désintérêt du public. Pour mémoire, il y a eu dans certain pays où elle est en vigueur zéro naissance de dobermann, de beauceron, etc.
c) Les installations : ni taudis, ni palais.
L'article 4.2 de la convention du 13/11/1987 stipule notamment que " toute personne qui détient un animal de compagnie ou s'en occupe doit lui procurer des installation (des soins et de l'attention) qui tiennent compte de ses besoins éthologiques conformément à son espèce et à sa race, notamment (b) lui fournir des possibilité d'exercices adéquats.
Prenant aux mots l'article 4, la branche fondamentaliste des écologistes réclame désormais en Allemagne que les lapins ne soient plus élevés dans des clapiers mais dehors dans des garennes. Tout éleveurs sait que l'élevage en garenne ne permet pas de suivre individuellement chaque animal et de lui donner des soins adéquats. Et qu'il comporte de grands dangers au plan sanitaire.
Qui jugera de l'adaptation des installation aux besoins d'une espèce ?
Les juges au coup par coup lorsqu'ils seront saisis par des associations de " protection " ? (pour faire condamner tel ou tel particulier) ?
Il y aura toujours des fanatiques pour prétendre que les poissons sont nécessairement malheureux en aquarium et que les oiseaux sont malheureux en cage.
Cela nous amène à une troisième limite du raisonnement éthique : toute réglementation concernant les installations d'élevage ou de détention ne doit pas imposer des normes telles qu'elles excluraient par leur exagération un grand nombre de foyers de condition modeste pour lesquels l'élevage est un loisir populaire.
Nous ne sommes pas contre toute réglementation bien au contraire, mais en cette matière qui peut avoir des conséquences graves, le mieux est parfois l'ennemi du bien.
Et toute nouvelle réglementation devrait être prise en toute connaissance de ses conséquences, après que tous les acteurs de terrain aient pu être entendus et aient fait valoir leurs arguments.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, qui n'a pas pour objet le chien, pour qu'on comprenne bien mes propos : après la seconde guerre mondiale, seules quelques races d'animaux de ferme les plus productives ont été valorisées. Toutes les autres, qui faisaient jusqu'alors toute la diversité de nos terroirs, auraient disparu si elle n'avaient été sauvegardées par des particuliers désintéressés dans les basse-cours familiales. Notamment dans le Nord de la France chez de très nombreux ouvriers qui y voyaient un moyen d'améliorer l'ordinaire.
Au nom du bien être des animaux, de nouvelles réglementations ont été prises en matière de transport. En conséquence des nouvelles contraintes, la plupart des compagnies de transports actuellement, soit n'acceptent plus ces animaux, soit ont multiplié les prix par 4. Pour expédier un lapin qui vaux 12 €, il faut souvent débourser désormais jusqu'à 48 €. Cela est impossible pour la plupart des aviculteurs amateurs qui doivent pourtant s'échanger ces animaux rares pour éviter une trop forte consanguinité. L'aviculture amateur est en train d'être asphyxiée.
Cela étant précisé, la fédération ProNaturA France a dans ses projets l'établissement de recommandations d'installations conformes au bien-être des animaux.
Nous envisageons la publication d'un livre dans lequel seront reprises les meilleures installations que nous avons pu rencontrer chez nos membres (rapport qualité/prix/esthétique/astuces et surtout confort des animaux). Les possesseurs d'animaux pourront y puiser de nombreuses idées.
Sur le terrain, nos délégués départementaux visiteront les élevages pour conseiller les éleveurs, que ce soit en matière d'installations, de techniques d'élevage, d'alimentation, etc.
2°) Promouvoir un Humanisme moderne : mieux former les possesseurs d'animaux, les associer à un but de sauvegarde de la variabilité génétique et de la diversité des espèces.
Loin d'une conception pessimiste et manichéenne des rapports entre les hommes et les animaux, la Fédération ProNaturA France souhaite miser sur la capacité de tout homme à s'améliorer, ce qui est un grand principe de l'Humanisme.
L'amour que portent les Français à leurs animaux confine parfois à la zoolâtrie par méconnaissance de leurs besoins réels. On aime trop les animaux pour ce qu'ils ne sont pas : des peluches, des enfants.
a) Un effort de formation doit être entrepris.
Pour les cas où la détention réclame la possession d'un certificat de capacité, la Fédération ProNaturA France souhaite que voit le jour un livret de formation semblable au livret de formation du conducteur.
Y seraient consignés les stages, les heures passées à se former dans les autres élevages ou établissements, les livres achetés ou lus, les journées de formation, les études, les succès en élevage ou en expositions.
Plusieurs membres de la fédération ProNaturA France, comme par exemple la World Pheasant Association, organisent déjà de telles journées de formation.
La fédération ProNaturA France est prête à relayer cet effort et à le coordonner.
La fédération a demandé à ses membres un effort particuliers pour aider les éleveurs débutants.
En matière de protection animale : mieux vaut laisser la parole à des personnes qui connaissent vraiment les animaux parce qu'ils en possèdent depuis longtemps, plutôt qu'à certains farfelus qui ont peut-être des connaissances théoriques, mais surtout beaucoup de positions dogmatiques acquises dans certains salons.
Dans les revues et sur notre sites Internet verront bientôt le jour des rubriques consacrées à différentes méthodes pour assurer un bien-être animal.
b) Associer les milliers de citoyens qui ont pour passion l'élevage à un objectif de sauvegarde de la variabilité génétique et de la diversité des espèces.
Protéger les animaux, c'est aussi les protéger de la disparition.
Beaucoup d'espèces domestiques ou non domestiques qui sont en voie de raréfaction ou de disparition dans la nature, sont reproduites par centaines ou par milliers dans les élevages de particuliers français ou européens.
La fédération ProNaturA France a proposé l'adoption d'une projet de loi visant à créer des CSE ou contrats de sauvegarde des espèces rares par l'élevages, visant à associer à des programmes de sauvegarde des particuliers, les Régions et des scientifiques afin de les optimiser.
Nous souhaitons notamment valoriser culinairement les races et variétés de terroir à faible effectifs qui font toute la diversité et donc toute la richesse de la France, par la production de produits " haut de gamme ".
Il serait trop long de décrire ici les mécanisme des CSE, qui n'entrent pas spécifiquement dans le sujet du jour.
Néanmoins, leur philosophie est d'associer les Régions et leurs habitants à la sauvegarde de leur patrimoine vivant. En ce sens, les races de chiens à faibles effectifs pourraient elles aussi faire l'objet de différentes aides.
L'opinion publique est aujourd'hui bien sensibilisée à l'importance de protéger la biodiversité. C'est pour nous un défi que nous sommes prêts à relever.